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DIETERICH. — d. f. strauss et l’idéalisme allemand

conscience comme fait fondamental de toutes les expériences internes et externes. Si Strauss cite des paroles de Carl Vogt, qui d’ailleurs ne lui est nullement sympathique, il le fait — peut-être avec une certaine pétulance pour irriter les spiritualistes persuadés que hors de leur théorie il n’y a point de salut, en leur jetant quelques pierres ramassées dans le camp de leurs adversaires dédaignés. Kant aussi se permet la plaisanterie d’opposer une hypothèse matérialiste ingénieuse au spiritualisme dédaigneux et en partie stérile au point de vue de l’analyse scientifique, et il soutient qu’elle est tout aussi fondée et plus favorable à la recherche des conditions physiologiques de la vie psychique. Strauss aurait prévenu maints malentendus, s’il s’était exprimé, surtout dans une confession, avec un peu plus de prudence, et s’il s’était refusé le plaisir de montrer encore une fois l’ardeur juvénile du polémiste. Mais le philosophe critique de Königsberg n’hésiterait pas à le couvrir de ses ailes protectrices, comme il en a couvert le sceptique écossais Hume. D’après l’opinion de Fechner, qui veut faire entrer dans la doctrine moniste toutes les idées justes qui peuvent se trouver dans le spiritualisme aussi bien que dans le matérialisme, le même fait réel qui, considéré extérieurement, se présente comme un mouvement d’atomes dans l’espace, apparaît, si on le considère intérieurement, comme sensation et représentation d’une conscience indivisible. Pour exprimer cette conception, que la conscience ordinaire a un peu de peine à réaliser, Fechner se créa une terminologie en partie nouvelle ; on ne manqua pas de la ranger au nombre des matérialistes. Et cependant que sa psychologie et même toute sa conception du monde est idéaliste, quand on lit, dans son écrit sur la question de l’âme, les développements qu’il donne à cette formule moniste, un peu abstraite de prime abord ! Strauss n’est ni meilleur, ni pire que Fechner ; ce qu’il dit pourrait se trouver littéralement dans les œuvres de ce dernier.

Ni le sens idéal, ni la profondeur du sentiment ne s’affaiblirent dans Strauss avec le cours des années ; mais on peut constater qu’il prenait peu à peu un intérêt moindre aux questions spéculatives. L’ardeur qu’il mettait autrefois à construire des hypothèses sur la connexion obscure des phénomènes de la vie intellectuelle, en employant toutes les ressources d’une imagination créatrice, le plaisir qu’il éprouvait à interpréter scientifiquement le sens des sentiments mystiques de notre âme dans un langage imagé et hardi, à la fois philosophique et poétique, allèrent toujours en diminuant quand vinrent à dominer chez lui l’esprit critique et le contentement inspiré par le sentiment religieux et esthétique. Mais lui refuserons-nous le nom