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ANALYSES.c. thiaucourt. Cicéron.

En Allemagne, toute une légion d’érudits, Diels, Wachsmuth, Pappenheim, Krische, Hirzel, Schiche, Hartfelder, au premier rang leur maître à tous, Ed. Zeller, se sont partagé la tâche et sont parvenus à élucider nombre de points essentiels. En France, si l’on excepte la remarquable thèse de M. V. Egger, De fontibus Diogenis Laertii, les recherches de cet ordre n’avaient guère tenté la curiosité des érudits. M. Thiaucourt a voulu combler cette lacune. Pour son coup d’essai, il s’est attaché à Cicéron, à qui nous devons, on le sait, les meilleurs et les plus clairs renseignements qui nous soient parvenus sur la dernière période de l’histoire de la philosophie grecque. Nous espérons bien qu’il ne s’en tiendra pas là, et qu’il nous donnera d’autres ouvrages aussi substantiels et aussi consciencieux.

Le livre de M. Thiaucourt mérite d’être signalé à l’attention des lecteurs de la Revue philosophique, non seulement parce qu’il est d’un haut intérêt pour toute une partie de l’histoire de la philosophie, mais encore parce qu’il nous montre une curieuse application de cet esprit scientifique, fait de rigueur et de précision, qui est le caractère distinctif et l’honneur de notre temps. De telles recherches exigent en effet de rares qualités d’esprit. Sans parler de l’érudition, qui doit être très vaste, il y faut une attention minutieuse et scrupuleuse, de la subtilité, dans le bon sens du mot, une intelligence exacte et sûre des systèmes anciens, une rigueur qui ne se laisse pas mettre en défaut, et une prudence qui sache s’arrêter à temps et ne pas dépasser la mesure. C’est merveille de voir comme ces juges d’instruction de la science, dont nous avons tout à l’heure cité les noms, savent interroger tous les témoins qui ont quelque chose à leur apprendre, analyser, avec une précision qui va jusqu’au scrupule, leurs moindres paroles, les forcer à se contredire, ou au contraire à se confirmer les uns les autres, enfin leur arracher morceau par morceau toutes les parties de vérité qu’ils ont conservées. Malheureusement, comme il fallait s’y attendre, plusieurs de ces érudits se complaisent trop souvent en leur subtilité ; ils ne se défient pas des raffinements de leur critique, et il leur arrive de donner pour vérités certaines les conjectures hasardeuses d’une imagination trop ingénieuse. Surtout ils demandent trop souvent à ces recherches une rigueur, une certitude absolue qu’elles ne comportent pas. Enfin ils ne savent pas toujours porter assez légèrement le poids de leur érudition : ils ne se défendent pas de la prolixité, et c’est parfois dans des développements confus et interminables, à travers des rapprochements sans mesure et sans discrétion, qu’il faut aller reconnaître les vérités qu’ils ont découvertes. M. Thiaucourt s’est appliqué à éviter ces excès. Il s’est efforcé de ne prendre à ses maîtres et à ses modèles que ce qu’ils ont d’excellent, leur méthode, et leur sagacité ingénieuse : il ne dit que ce qu’il faut dire, et le dit clairement et simplement. Tout en profitant des résultats déjà acquis de la vaste enquête ouverte avant lui, il a su éclaircir plus d’un point resté obscur, rectifier plus d’une assertion restée douteuse. En même temps qu’il résumait l’œuvre de ses devan-