Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
revue philosophique

ciers, il a fait lui-même une œuvre intéressante et personnelle. Il faut surtout le louer d’avoir su éviter les affirmations trop tranchantes et le dogmatisme intempérant. Il ne se flatte pas d’apporter à toutes les questions une solution définitive : il sait douter à propos, et se contenter, quand il le faut, d’une conclusion probable. C’est grande sagesse dans les recherches de cette nature, et même en beaucoup d’autres.

Nous ne pouvons, à notre regret, entreprendre ici une étude approfondie du livre de M. Thiaucourt ; il faudrait de trop longs développements, et la place nous est mesurée. Nous aurions quelques inexactitudes à signaler et quelques réserves à faire, moins, il est vrai, sur les conclusions, qui nous semblent presque toujours justes, que sur les raisonnements qui y conduisent. Par exemple, il n’est pas juste de dire (p. 50) que, suivant les stoïciens, les sens ne peuvent nous tromper. Il n’est pas exact non plus (p. 63) que l’objet propre des Académiques soit l’apologie de Philon contre Carnéade », et M. Thiaucourt dit lui-même plus loin (p. 65) que « Cicéron ne distingue pas dans ses paroles la doctrine propre de Carnéade et celle de Philon ». Nous n’aimons pas non plus qu’on nous parle (p. 347) du « scepticisme absolu » de Carnéade, d’autant plus que l’auteur sait à merveille et dit lui-même ailleurs (p. 64) « que, en attachant beaucoup d’importance à la notion du vraisemblable, Carnéade avait fait le premier pas dans la direction du dogmatisme. » Et quand M. Thiaucourt assure (p. 269) « qu’Antipater le stoïcien enseignait à Athènes de 150 à 113 av. J.-C. et que Carnéade lui survécut (ce qui est exact), nous éprouvons quelque embarras, car, suivant tous les historiens, Carnéade mourut en 129 av. J.-C.

Dans la critique à laquelle il soumet les traités philosophiques de Cicéron, M. Thiaucourt nous semble parfois bien sévère. Les anciens ne se pliaient pas toujours aux règles de composition auxquelles nous nous sommes habitués. N’est-ce pas un bien gros mot que celui de contradiction (p. 58) pour désigner un développement qui n’est pas à sa place ? Encore est-ce une question de savoir s’il n’est pas à sa place : on pourrait aisément justifier l’ordre adopté par Cicéron. Ainsi encore, lorsque M. Thiaucourt (p. 61) reproche à Cicéron d’avoir oublié de répondre à Lucullus au IIe livre des Académiques, il ne distingue peut-être pas assez le jugement que nous pouvons aujourd’hui porter sur les arguments de Cicéron, et l’opinion que lui-même en avait. N’arrive-t-il pas tous les jours qu’un philosophe se flatte d’avoir réfuté un adversaire dont pourtant les arguments restent debout ? Nous aurions d’ailleurs bien des réserves à faire sur la condamnation prononcée par M. Thiaucourt la réponse de Cicéron n’est pas aussi faible qu’il le croit.

Un peu trop souvent M. Thiaucourt reproche à Cicéron l’infirmité intellectuelle qui l’empêche de comprendre les doctrines qu’il expose : parfois c’est M. Thiaucourt qui n’entend pas bien Cicéron. Ainsi, à propos du De finibus (III, 35), Cicéron est accusé d’incohérence (p. 89) : « au milieu de son exposition de la morale stoïcienne, nous dit-on, il semble avoir rencontré ce chapitre parmi les extraits qu’il faisait, et