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JOLY.la sensibilité et le mouvement

Mais bien que ces muscles demeurent tout à fait inactifs (c’est-à-dire sans action personnelle et sans efforts) elle n’a pas plus la conscience de cette inaction que tout à l’heure elle n’avait la conscience de son activité. Elle ne connaît que le mouvement exécuté : elle ne sait pas où sont les instruments de ce mouvement.

Si ces faits élémentaires et journaliers prouvent que la sensibilité musculaire, quand elle existe, est postérieure au mouvement, il y a des faits cliniques très importants qui prouvent que l’absence totale de cette sensibilité musculaire n’empêche pas le mouvement des muscles. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ici les faits de cette nature, ou du moins les plus saillants.

Les auteurs anglais citent eux-mêmes une observation tout à fait décisive d’un médecin français, Deneaux[1]. Il s’agit d’une femme qui était atteinte d’une perte complète de la sensibilité, à la fois superficielle et profonde, dans un membre qu’elle mettait toutefois en mouvement. Voici le texte de Deneaux : « Elle mettait ses muscles en jeu sous l’influence de la volonté, mais elle n’avait pas conscience des mouvements qu’elle exécutait. Elle ne savait pas quelle était la position de son bras, il lui était impossible de dire s’il était étendu ou fléchi. Si l’on disait à la malade de porter sa main à son oreille, elle exécutait immédiatement le mouvement ; mais lorsque ma main était interposée entre la sienne et son oreille, elle n’en avait pas conscience. Si j’arrêtais son bras au milieu du mouvement, elle ne s’en apercevait pas. Si je fixais, sans qu’elle pût s’en apercevoir, son bras sur le lit, et lui disais ensuite de porter sa main à sa tête, il y avait un moment d’effort : puis elle restait tranquille, croyant avoir exécuté le mouvement. Si je lui disais d’essayer encore, elle essayait avec plus de force de le faire ; et aussitôt qu’elle était obligée de mettre en jeu les muscles du côté opposé du corps (elle n’était frappée que d’hémianesthésie) elle reconnaissait qu’on s’opposait au mouvement. » Ainsi chez cette femme les centres volitionnels, les centres moteurs et les muscles pouvaient être mis en jeu : cependant le sens musculaire était aboli dans les membres anesthésiés, et il ne se réveillait que lorsque le côté demeuré sensible était entraîné dans l’effort.

À côté de ce fait, plaçons celui que depuis longtemps aussi donnait Ch. Bell, et qui s’est certainement renouvelé dans plus d’une clinique. « Une mère nourrissant son enfant est atteinte de paralysie ; elle perd la puissance musculaire d’un côté du corps et en même temps la sensibilité de l’autre côté. Circonstance étrange et vraiment alarmante, cette femme ne pouvait tenir son enfant au sein

  1. Thèse de la Faculté de médecine de Paris. 1843.