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JOLY.la sensibilité et le mouvement

activer et multiplier vos caresses. Mais bientôt il se raidit et devient immobile. Ainsi fait le dégustateur qui voudrait retenir dans son palais le liquide embaumé et qui boit lentement, respectueusement : ainsi fait l’amateur de fleurs penché devant la tulipe ou devant la rose préférée. Vous promenez-vous dans une exposition, dans un musée où vous voyez des choses qui vous plaisent, regardez-vous avec votre lorgnette des objets ou des personnes qui vous agréent ; vous commencez, je le veux, par aller et venir avec une certaine vivacité ici et là. Mais, quand tout à coup vos yeux ont rencontré quelque chose ou quelqu’un qui vous paraît plus joli, plus beau, plus intéressant, plus agréable que tout le reste, est-ce qu’il n’y a pas alors chez nous un temps d’arrêt, une sorte de repos dans la contemplation ? Vous n’êtes non pas seulement « ravi », vous êtes « pris » ; vous avez senti « le charme qui arrête ». Ainsi encore quand vous lisez un livre qui vous amuse ou qui vous plaît, vous tournez vite les pages, avec l’espoir d’y trouver toujours du nouveau. Mais quand vous rencontrez enfin l’un de ces passages rares qui contentent les plus chers désirs de votre imagination et de votre goût, est-ce que vous ne ralentissez pas la lecture pour prolonger votre émotion et pour être plus sûr de la perpétuer par le souvenir ?

Quelle que soit la forme qu’il revête d’abord, qu’il débute par l’entrainement sensuel ou par les imaginations tendres et innocentes, l’amour jeune est toujours enivré de lui-même, toujours avide de nouvelles émotions, toujours impatient de précipiter le mouvement de son plaisir. Ici la peinture que Mantegazza fait[1] de l’enthousiasme érotique et des convulsions amoureuses est à sa place. Mais le mot d’extase n’a-t-il pas été employé mille fois pour désigner une autre phase de l’amour dans laquelle on peut dire que la volupté ou le bonheur sont à leur comble ?

L’auteur italien parle, nous l’avons vu, de la musique, dont le propre est, dit-il, de provoquer la danse et les jeux. C’est en effet l’une de ses vertus : mais ce n’est ni la seule ni la meilleure. On ne demande plus seulement à la musique, dans les pays civilisés, de régler la marche et l’action par un rythme agissant sur l’imagination sensitive. Il est certain que les belles compositions symphoniques nous font aimer le plus souvent un silence méditatif et profond, qu’elles nous disposent à une rêverie intense où la pensée et le sentiment se recueillent, se condensent en quelque sorte et nous font vivre beaucoup en peu de temps. Ce n’est pas, je le veux, ¡un idéal qui épuise toute beauté musicale. Mais il s’agit ici de plaisir ; et les beaux airs

  1. Quelques pages plus loin.