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de la souffrance : c’est la partie de l’organisme qui, plus spécialement affectée de ce manque de concours, est condamnée par là même à « peiner » davantage. Dans la mort par suite de chlorose ou d’anémie comme dans la mort par inanition, les symptômes décrits par tous les médecins sont les mêmes, « pouls fréquent, chaleur fébrile, sécheresse de la peau, soif, anhélation, palpitation du cœur, dyspepsie, pyrosis, diarrhée[1] ». Affaiblissement des moyens d’action et exaltation désordonnée de l’action des organes vont donc là de concert. Ainsi encore, à propos de l’asphyxie[2] on nous signale « cette importante loi de physiologie générale, que les propriétés des éléments s’exagèrent avant de disparaître, et qu’un nerf qui va mourir, par exemple, devient à un certain instant plus irritable que jamais ». Les angoisses de la mort, les épouvantes, les affres de l’agonie n’ont pas non plus d’autre cause que le sentiment d’une gêne contre laquelle la vie n’a pas cessé encore de lutter a Les mouvements des viscères étant suspendus, l’organisme entier veut y suppléer par des mouvements accessoires des muscles périphériques… » De là « une dyspnée intense et une extension convulsive du corps… L’angoisse pousse les moribonds à se dépouiller de leurs vêtements, bien qu’alors la peau soit le plus souvent glacée. Souvent, presque au moment de mourir, ils veulent se lever et changer de lit[3]. »

Mais allons, pour terminer, aux douleurs les plus fortes qu’ait à désigner la langue humaine et qui sont, pour notre race, depuis qu’elle existe, le type même de la souffrance. Dans l’enfantement, les douleurs « atroces (c’est, je crois, un de leurs noms techniques) sont aussi les dernières douleurs, les « expultrices ». « Avoir des douleurs s ou faire des efforts pour expulser le fardeau vivant qui se fraye sa voie, c’est tout un dans la langue populaire comme dans la langue médicale. Il est vrai que les femmes qui ont eu plusieurs enfants préfèrent encore ces douleurs à celles qu’on appelle passives et qui n’avancent point le travail libérateur. Mais c’est précisément qu’il se mêle à ces dernières un sentiment d’impuissance et la crainte, grossie par l’imagination malade, que le travail infructueux ne dure, pour ainsi dire, indéfiniment. Quant aux autres efforts, il n’est nullement contradictoire de poser qu’ils redoublent la douleur ou qu’ils sont le signe d’une souffrance portée à son paroxysme, et que cependant ils éveillent dans l’imagination de la patiente l’espoir si attendu d’une délivrance plus rapprochée.

  1. Dictionnaire Jaccoud, art.  Anemie.
  2. Même dictionnaire, art.  Asphyxie, par Paul Bert.
  3. Gratiolet. De la Physionomie, pag.  339.