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DELBŒUF.l’éducation et l’imitation dans le somnambulisme

je ne m’occupai que d’elle, et je négligeais totalement M…., sa sœur, que, par comparaison, j’estimais par trop obtuse. Celle-ci était restée absolument fruste : je savais l’endormir, non sans peine, mais c’était tout. Il se trouvait ainsi qu’elle pouvait devenir entre mes mains une excellente pierre de touche. Je me hâtai de terminer avec J… les expériences sur la mémoire que j’avais en vue, et réservai avec soin M… pour des expériences sur l’influence de l’imitation. Dans ce dessein, je ne lui laissai pas voir sa sœur avant d’avoir mené à bonne fin ma première tâche. On le sait, cette tâche ne fut pas longue. Le 6 mars, c’est-à-dire en quelques jours, elle était terminée.

À partir de cette date, je mis M… en rapport avec J… Je consacrai à cet objet trois ou quatre séances, de quinze à vingt minutes chacune au plus.

Je montrai à M… comment J… s’endormait à la parole ; M… s’endormit à la parole.

Je lui fis voir ce que c’était que la léthargie, la contracture, la catalepsie. M… comprit parfaitement, et elle fut bientôt aussi susceptible que sa sœur.

M…, comme J…, se souvient de ses rêves hypnotiques lorsqu’elle est réveillée dans certaines conditions. Que dis-je ? Conformément à ce que j’énonçais dès le premier jour que je fis des expériences de mémoire avec J…[1], elle se rappelle parfois des rêves uniquement pour la raison qu’ils l’ont tant soit peu agitée, et que l’agitation persiste au réveil[2]. Un seul exemple : Je lui donne un jour la suggestion qu’elle est tourmentée par des puces. Je la touchais légèrement avec une aiguille à bas. Je fis cesser le martyre après deux ou trois minutes, et je la laissai se reposer quelques instants. Je la réveille. Sa première parole à elle, quand elle n’a aucun souvenir immédiat, c’est un Eh bien ? Elle désire savoir ce qui lui est arrivé. « C’est à vous, lui dis-je, que je poserai la question. Vous ne vous souvenez de rien ? Je ne me souviens de rien, répondit-elle ; il me semble cependant que j’ai été tourmentée par les puces. »

Pas plus que chez J…, les hallucinations de M… ne se prolongent au delà du réveil.

J… ne s’éveille pas d’elle-même, mais seulement à mon ordre. M… a cessé de s’éveiller, sinon à mon ordre. Seulement, au moment du réveil, elle a — ce que n’a pas J… — une légère secousse des épaules. J… a une conscience obscure de son som

  1. Voir La Mémoire, etc, Revue philosophique, page 439.
  2. Voir plus bas cependant le rêve des hannetons.