Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
177
NOEL.l’idée de nombre et ses conditions

quée par Leibniz, a été souvent reprise depuis ; la seconde est celle de Condillac.

La première nous semble la moins soutenable. Sans doute le moi est un, mais son unité ne peut être le prototype de l’unité arithmétique. L’unité du moi est tout à la fois unité et totalité, et de ces deux déterminations c’est sans doute la première qui prédomine d’abord. Le moi qui comprend tout ne peut faire nombre avec rien et il lui manque précisément l’aptitude à entrer dans une collection. Sans doute de très bonne heure nous apprenons à reconnaître des moi différents du nôtre et que nous pouvons compter avec lui ; mais quelque précoce que soit cette connaissance, elle a dû être précédée par d’autres. Nous avons appris à distinguer les corps les uns des autres avant de pouvoir comprendre qu’il existe d’autres personnes que nous. Or, dès que nous pouvons nous représenter un objet, nous avons tout ce qu’il faut pour penser l’unité.

La théorie condillacienne semble d’abord plus admissible. Pourtant, pour la rendre exacte, il faut restituer à l’aperception ses droits. Quelle est cette sensation une qui deviendrait pour nous le prototype de l’unité ? Est-ce une sensation assez intense pour absorber la conscience tout entière ? Elle est une, sans doute, mais son unité ne peut pas mieux être reconnue que l’unité même du moi avec laquelle elle se confond. Est-ce une sensation quelconque mêlée à la masse de nos sensations ou un souvenir particulier de sensation parmi tous nos souvenirs ? Alors, n’est-ce point l’attention qui tire de la foule cette sensation particulière et qui, en l’isolant, lui confère le privilège de représenter pour nous l’unité. En général, l’attention unit en même temps qu’elle sépare. Elle détache plusieurs états psychiques de la masse des états concomitants et les agrège momentanément en un seul état complexe. De ses deux effets ordinaires le premier seul se produit ici. Néanmoins, son intervention n’est pas niable et si Condillac ne l’a pas aperçue, c’est qu’il refuse systématiquement à l’attention toute existence en tant que mode spécial d’activité.

D’ailleurs les théories qui cherchent dans quelque objet simple en soi ou indécomposable pour nous le prototype de l’unité mathématique ont toutes un grave défaut. Elles sont forcément incomplètes. Elles n’expliquent pas comment ce concept est étendu par la suite à tout objet quel qu’il soit, ou, ce qui revient au même, comment nous en venons à nous représenter des objets. Qu’il existe ou non des unités simples et qu’elles nous soient ou non immédiatement données, c’est un fait que nous pensons des unités complexes. Or, pour celles-ci du moins, il faut bien en venir à notre explication.