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quelle est donc cette loi morale ? Il faut la distinguer des préceptes par lesquels on la résume ordinairement. On peut la formuler ainsi : Les biens ou les maux de l’humanité sont proportionnels à ses vertus ou à ses vices ; en d’autres termes : Plus les hommes se conformeront aux préceptes de justice et de charité, plus ils seront heureux ; plus les hommes s’écarteront de ces préceptes, plus ils seront malheureux.

Cette formule ne s’applique pas à l’individu, car la morale n’est possible qu’avec la société, et l’équation du bonheur et de la vertu n’est vraie que pour la société. Elle reste encore sensiblement ou suffisamment vraie pour toute société d’hommes ou pour toute nation prise isolément, à condition bien entendu qu’on ait en vue le bonheur qui résulte de l’ordre moral et non celui qui résulte de l’ordre matériel.

Cette loi est rigoureusement vraie. Elle l’est à priori, car la vertu étant le bien, et le vice étant le mal fait à autrui, plus il y aura d’hommes vertueux, plus l’humanité sera heureuse ; elle sera au contraire d’autant plus malheureuse qu’il y aura plus d’hommes vicieux. Elle est vraie à posteriori, mais la vérification historique de cette loi, qui exige une connaissance approfondie de l’histoire universelle, sera l’œuvre de savants dégagés des préoccupations métaphysiques et religieuses.

Une telle morale se distingue de la morale indépendante, puisqu’elle n’a rien de métaphysique ou de transcendant. Elle touche de près à la théorie utilitaire de Stuart Mill, dont l’étude consciencieuse et profonde a donné à l’auteur la révélation de la science morale. Sans doute, elle substitue la règle des choses, la loi naturelle et positive aux prétendus principes supérieurs, universels, absolus, sacrés ; mais c’est justement là sa force et son mérite. Elle ne cherche pas d’ailleurs ses fondements dans les ruines des idées religieuses ou métaphysiques ; elle n’exclut ces idées ni ne les invoque ; elle s’en passe, comme la géométrie et la physique.

Il serait trop facile de refaire à M. Bellaigue les objections qu’on a faites à Stuart Mill ; mais outre que beaucoup d’entre elles ne portent pas et qu’il n’y a pas de système de morale auquel on ne puisse en adresser un certain nombre, nous croyons beaucoup plus intéressant d’appeler l’attention sur un opuscule qui tente de faire de la morale une science positive, sans prendre contre la métaphysique et la religion une position agressive.

F. Picavet.

Dr Janvier.Les constitutions d’Haïti (1801-1885). Paris, Marpon et Flammarion, 1886.

Ce livre intéressant mériterait une analyse plus longue que celle que comporte le cadre de la Revue philosophique. L’auteur, qui est un noir d’Haïti, est bien connu déjà par plusieurs ouvrages où il a défendu