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Au bout de quelques jours je parvins à produire le sommeil beaucoup plus rapidement. Il me fallait autrefois trois à quatre minutes et quelquefois plus pour endormir Mme B…, maintenant je produisais le sommeil en moins d’une demi-minute. Il n’était plus non plus nécessaire de fixer sa pensée sur l’ordre du sommeil pour endormir Mme B… ; l’action physique exercée sur son point hypnogène au pouce remplaçait toute autre influence. Le commandement mental conservait son importance quand on ne touchait pas le sujet, quand on l’endormait par suggestion mentale en se plaçant dans la même chambre. Cette expérience réussissait encore très facilement, mais il n’était pas certain que l’attitude du magnétiseur ne jouât pas dans la production du sommeil un plus grand rôle que sa pensée.

Après une dizaine de séances, pendant lesquelles j’avais endormi moi-même six fois Mme B…, j’ai essayé de lui commander le sommeil sans être auprès d’elle, mais en me tenant dans une chambre voisine. L’expérience réussit bien ; après avoir pensé cinq minutes à l’endormir, j’entrai dans sa chambre et je la vis complètement endormie ; la tête et le corps penchés fortement du côté où je me trouvais précédemment. L’expérience n’est cependant pas concluante, car Mme B… se doutait évidemment de mon intention.

Le 22 février, après 14 séances de somnambulisme et après l’avoir endormie moi-même 8 fois, j’ai essayé pour la première fois de lui commander le sommeil de loin[1]. J’étais chez moi, à une distance de quatre ou cinq cents mètres du pavillon où se trouvait Mme B… quand j’ai essayé de concentrer ma pensée sur l’ordre du sommeil, comme je l’avais fait souvent devant elle. Je n’y mis peut-être ni la conviction ni le temps nécessaires, car je n’y pensai guère plus de cinq minutes. D’ailleurs je n’allai auprès d’elle qu’une heure plus tard, persuadé d’avance du peu de succès de mon entreprise. À mon grand étonnement, les personnes de la maison m’avertirent que Mme B… était fort indisposée depuis une heure : elle avait été prise d’étourdissements, et forcée d’interrompre son travail ; elle avait dû pour se remettre boire un verre d’eau et se laver la figure et les mains. Mme B… me raconta elle-même son indisposition qu’elle ne s’expliquait pas ; il est bon de remarquer à ce propos qu’à l’état de veille Mme B… ne soupçonne pas du tout que l’on puisse l’endormir de loin. Cette coïncidence au moins singulière montrait deux choses : 1o que j’avais peut-être une certaine action sur cette femme, même de loin, et qu’il y avait lieu de recommencer plus sérieusement ; 2o que, pour une raison quelconque, soit par défaut d’accoutumance, soit grâce à l’action de l’eau froide, Mme B… pouvait résister encore à cette action et ne s’endormait pas.

Pendant deux jours encore je l’ai endormie de près en la touchant, sans qu’il y eût d’autres incidents. Je lui ai demandé, pendant son état

  1. Pour étudier le sommeil provoqué à distance, il n’y a pas d’expérience plus simple que celle-ci : commander le sommeil de l’endroit où l’on se trouve à une heure quelconque de la journée.