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société de psychologie physiologique

j’ai déjà fait allusion et qui est bien plus concluante. Le 16 mars, il fut convenu entre nous que M. Gibert endormirait Mme B… par la pensée, de chez lui, et qu’il essayerait en restant toujours chez lui de la forcer à se lever et à venir nous rejoindre. Mon frère, Jules Janet, interne des hôpitaux de Paris, se trouvait alors au Havre et devait venir avec moi chez M. Gibert avant huit heures du soir, moment où nous avions l’intention de commencer l’expérience. Un retard inattendu nous empêcha de rejoindre M. Gibert assez tôt et l’expérience ne put commencer qu’à neuf heures. Je signale cet incident insignifiant : car si, par extraordinaire, Mme B… avait pu être prévenue de notre intention, elle se serait endormie et se serait mise en marche à huit heures et non pas à neuf heures. Or, voici ce qui arriva. Ne voulant pas laisser cette femme endormie marcher au travers des rues sans précautions, j’ai quitté M. Gibert et j’ai été vers le pavillon où se trouvait Mme B. Je ne suis pas entré, de peur de produire quelque suggestion par ma présence, mais je suis seulement resté assez loin dans la rue. À neuf heures et quelques minutes, Mme B… est sortie brusquement de la maison ; elle ne s’était pas couverte et marchait à pas précipités ; je me suis mis auprès d’elle et j’ai vu qu’elle avait les yeux entièrement fermés et qu’elle avait tous les signes que je connaissais bien de son état somnambulique : elle évitait tous les obstacles avec une adresse qui me rassura, mais elle fut très longue à me reconnaître. Au début, elle me repoussait et ne voulait pas, disait-elle, être accompagnée ; au bout de deux cents mètres, elle sut qui j’étais et parut satisfaite de ma présence. D’ailleurs à plusieurs reprises, je fus très inquiété par des hésitations de sa marche ; elle s’arrêtait et se balançait en avant et en arrière comme si elle allait tomber. Je craignais beaucoup qu’elle n’entrât brusquement dans une période de léthargie ou de catalepsie qui aurait rendu le voyage difficile : il n’en fut rien ; elle se redressa et arriva sans encombre. À peine arrivée, elle tomba sur un fauteuil dans la léthargie la plus profonde. Cette léthargie ne fut interrompue qu’un instant par une période de somnambulisme où elle murmura : « Je suis venue… j’ai vu M. Janet… j’ai réfléchi qu’il ne faut pas que je prenne la rue d’Étretat, il y a trop de monde… (elle a pris d’elle-même une autre rue). Un homme s’est jeté devant moi… il a dit que j’étais aveugle, est-il bête… » et elle resta longtemps endormie. Plus tard elle revint au somnambulisme et raconta qu’elle avait éprouvé beaucoup de fatigue et d’hésitation pendant la route, parce que, croyait-elle, M. Gibert n’avait pas pensé asez continûment à la faire venir. Elle s’était endormie, comme on me le raconta ensuite, quelques minutes avant neuf heures, c’est-à-dire à l’heure où M. Gibert y avait pensé, mais elle ne s’était mise en marche que cinq ou six minutes plus tard. Cette expérience fut recommencée avec le même succès une fois devant M. Paul Janet le 20 avril et une autre fois devant MM. Myers, Marillier et Ochorovicz le 22. Notons que jamais Mme B… ne s’endort ainsi le soir et ne se met en route en somnambulisme.

Je dois pour être complet ajouter certains faits du même genre qui se