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rapportent aux hallucinations. Il est facile de donner à Mme B… des hallucinations, soit en les lui commandant immédiatement pendant le somnambulisme les yeux ouverts ou somnambulisme cataleptique : Voici une fleur rouge, lui dit-on, et elle la voit, soit en lui commandant l’hallucination pendant les périodes léthargiques du somnambulisme, et alors cette suggestion se réalise plus tard lorsque le sujet entre dans la phase de somnambulisme proprement dit. Mais, chose curieuse dans les deux cas, l’hallucination n’existe que lorsque la personne qui l’a suggérée touche la main du sujet. Je lui ai dit de voir un beau bouquet ou des oiseaux multicolores ; tant que je lui tiens la main elle est enchantée de ce beau spectacle ; elle sent même le bouquet et caresse les oiseaux ; mais dès que j’écarte ma main, la voici qui gémit, car tout a disparu. Si je la touche si peu que ce soit sur la main ou sur la figure, elle rit, car tout revient. Il faut noter que ce fait n’est pas le résultat d’une suggestion ; il s’est toujours produit et j’ai été fort étonné de le constater. Si une autre personne que moi lui touche la main, l’hallucination que j’ai suggérée ne se produit pas ; mais voici qui est plus extraordinaire : si je touche moi-même cette seconde personne, même à l’insu de la somnambule, l’hallucination réapparaît aussitôt comme si une action quelconque exercée par moi avait passé au travers du corps de la personne que je touche. Si on fait une sorte de chaîne avec plusieurs personnes intermédiaires, le phénomène n’est plus aussi constant. Je me contente de signaler ce fait qu’il faut peut-être rapprocher des phénomènes si curieux d’électivité que l’on a déjà observés.

Il y a aussi chez Mme B… une sorte d’hallucination produite, on peut le dire, par suggestion mentale. Elle paraît éprouver les mêmes sensations que j’éprouve moi-même ou qui sont ressenties par quelqu’une des personnes présentes avec laquelle elle semble plus particulièrement en relation. J’ai déjà dit qu’elle croit boire et manger quand je le fais pendant son sommeil ; nous avons remarqué cette fois que le phénomène se passe encore même si je me trouve dans une autre chambre. On voit sur sa gorge les mouvements de déglutition ; peut-être devrais-je essayer d’enregistrer ces mouvements pour voir s’ils sont bien parallèles à ceux qui se passent en moi-même. Si, même dans une autre chambre je me pince fortement le bras ou la jambe, elle pousse des cris et s’indigne qu’on la pince aussi au bras ou au mollet. Enfin, mon frère qui assistait à ces expériences et qui avait sur elle une singulière influence, car elle le confondait avec moi, essaya quelque chose de plus curieux. En se tenant dans une autre chambre, il se brûla fortement le bras pendant que Mme B… était dans cette phase de somnambulisme léthargique où elle ressent les suggestions mentales. Mme B… poussa des cris terribles et j’eus de la peine à la maintenir. Elle tenait son bras droit au-dessus du poignet et se plaignait d’y souffrir beaucoup. Or je ne savais pas moi-même exactement l’endroit où mon frère avait voulu se brûler. C’était bien à cette place-là. Quand Mme B… fut réveillée, je vis avec étonnement qu’elle serrait encore son poignet droit et se plaignait d’y souffrir beau-