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nous faut, ce semble, réunir ces trois termes : nécessité, manque et enfin, sinon le désir, au moins un état de sensibilité qui le prépare et qui l’annonce. Il y a de faux besoins : ce sont des phénomènes intéressants que nous nous garderons d’oublier ; mais le vrai besoin d’une chose suppose : 1o Qu’elle est nécessaire ; 2o qu’on ne l’a pas du tout ou qu’on ne l’a pas en quantité suffisante ; 3o que l’on sent tout à la fois ce manque et cette nécessité, d’où résulte qu’on est travaillé par une sollicitation qui développe une tendance plus ou moins confuse. Qu’est-ce que cette sollicitation sentie par l’individu ? Qu’est-ce que cette tendance, et quelle en est exactement la nature ?

Horwicz dit quelque part[1] que, si l’appétit est la forme première et en même temps la plus générale du désir, la première phase de l’appétit est l’acte réflexe. M. Ch. Richet dit de son côté[2], avec plus de précision : « Un besoin n’est autre chose qu’un réflexe sollicité avec énergie par la sensibilité. » Voilà une considération bien mécaniste et qui ne donne pas du besoin une idée fort satisfaisante. Tout réflexe n’est pas un besoin et ne suppose pas nécessairement un besoin. Il faut qu’il soit senti, ajoutera M. Richet. Mais il y a des réflexes énergiques, incoercibles, très douloureux, évidemment contraires aux nécessités de l’organisme, et à propos desquels on n’éprouve qu’un seul besoin, celui de les voir cesser au plus tôt. Il suffit de citer les réflexes de l’épilepsie, du tétanos, ceux qui sont produits par la présence de vers intestinaux, les accès convulsifs de l’hystérie, ceux de la chorée, etc. Tout besoin d’autre part provoque-t-il nécessairement des réflexes[3] ? Je veux bien que la sensation de la toux

  1. Voyez la Revue philosophique de mai 1876.
  2. Voyez Ch. Richet, Recherches expérimentales et cliniques sur la sensibilité, page 201.
  3. Mathias Duval cite, d’après Küss, de Strasbourg, un cas fort curieux où le besoin sollicite et obtient des efforts volontaires, quoique les réflexes soient presque entièrement abolis ou devenus insuffisants. « Dans nos grandes brasseries, il n’arrive que trop souvent qu’un garçon brasseur tombe dans une des immenses chaudières des établissements ; retiré très vite, il n’en présente pas moins une brûlure, parfois légère, mais en tout cas très étendue, et qui a profondément modifié la peau au point de vue nerveux, comme cela arrive pour la sensibilité de toutes les surfaces dont l’épithélium est altéré.

    Dans quelques cas de ce genre, nous avons pu observer que la respiration ne se continue, avec son ampleur et son intensité normales, que grâce à l’intervention de la volonté. Le patient respire alors parce qu’il veut respirer, et, le réflexe physiologique étant insuffisant par un défaut dans les voies centripètes, les mouvements du thorax ne présentent plus ni leur forme rythmique, ni leur apparente spontanéité normale ; mais si le malade oublie de respirer, les mouvements du thorax deviennent lents et faibles comme chez les animaux enduits d’un vernis ; la température du corps s’abaisse et n’est maintenue que par l’action de la volonté sur la respiration. Il est évident que si une des sources, la source cutanée, si l’on peut ainsi s’exprimer, du réflexe respiratoire, a été sup-