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JOLY.la sensibilité et le mouvement

soit « un véritable besoin, en ce sens qu’elle commande énergiquement l’acte musculaire qui doit expulser des bronches le corps étranger ». Je veux bien encore qu’on puisse trouver des réflexes accompagnant la sensation de divers autres besoins, puisqu’il y a des réflexes partout. Mais comment leur attribuer une part prépondérante dans les besoins de la faim et de la soif, dans le besoin du sommeil et surtout dans les besoins moraux ? car enfin il faut bien tenir compte aussi de ces derniers et trouver ce qu’ils ont de commun avec les autres. Force est donc de remonter plus haut.

Le sentiment que nous éprouvons de la nécessité d’un acte quelconque peut être agréable ou pénible ; le plus souvent il est à la fois l’un et l’autre, quoique à des degrés très divers et dans des proportions fort inégales.

Il y a d’abord des besoins modérés qui ne procurent guère que du plaisir ; on est heureux de se sentir ce qu’on appelle proprement de l’appétit ; on est heureux, quand on s’est reposé, de sentir que les jambes et le corps tout entier demandent à marcher. On éprouve malgré soi un plaisir réel quand on se sent capable d’une fonction quelconque : tel est le jeune homme qui commence à s’apercevoir de sa virilité. Est-ce uniquement parce que l’imagination se représente par avance les satisfactions qui vont suivre et en donne une espèce d’anticipation ? C’est d’abord parce que cette agitation et ce remuement donnent à l’individu le sentiment de sa force et de ses aptitudes. « Il est doux, dit Malebranche[1], de suivre les inspirations et les mouvements de la passion », et il entend par là que la passion est agréable en elle-même, en raison de ce qu’elle dégage en nous d’activité et d’énergie.

Ce que M. Bouillier, dans sa belle et classique étude sur le plaisir et la douleur[2] appelle (avec Malebranche et le P. Tournemine) « le plaisir prévenant », est tout simplement le plaisir qui s’attache au sentiment d’une activité déjà toute prête à s’exercer. On ne comprendrait pas d’ailleurs un état de sensibilité qui ne dépendrait pas de nous-même et dans lequel aucun de nos organes ne se sentirait intéressé. Ce serait quelque chose d’analogue à la sensation de Condillac, venant du dehors et ne devant rien ni à l’activité spirituelle ni à l’activité physiologique. La mise en éveil, la mise en train d’une fonction ne peuvent se passer du concours de la fonction même.

    primée, et que l’action du pneumo-gastrique seul est devenue insuffisante pour provoquer l’action du système nerveux central, la volonté supplée à ce manque d’impulsion extérieure… » ( Dictionnaire Jaccoud, art. respiration. p. 292.)

  1. Malebranche, Traité de la morale, I, V. 4.
  2. Vovez F. Bouillier, Le plaisir et la douleur, ch.  VII.