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JOLY.la sensibilité et le mouvement

Ainsi à tous ses degrés, dans ses formes normales et dans les perturbations qu’il subit, le besoin est un phénomène auquel l’économie tout entière participe. Elle y participe d’une manière active, par des mouvements dont le plaisir et la douleur contribuent tour à tour, et quelquefois en même temps, à modifier l’intensité et les allures. Il y a cette différence entre le vrai besoin et le faux que le vrai correspond à une fonction normale, nécessaire à l’intégrité de l’organisme, constante et universelle, tandis que le faux besoin correspond à une fonction accidentelle, irrégulière ou parasite. Quant à l’affaiblissement du besoin, à l’indifférence ou au dégoût qui le remplacent, ils tiennent à des troubles équivalents survenus dans la fonction et la rendant accidentellement pénible ou difficile.

IV

Mais une explication du besoin doit comprendre, avons-nous dit, l’explication des besoins moraux. Sont-ils d’une nature toute différente, et alors que devient l’unité de l’être humain ? Sont-ils absolument du même ordre, et alors se réduisent-ils à des mouvements tout physiques ? Il y aurait là une question fort intéressante. Nous savons dès à présent comment se crée un besoin physique, car il y a un besoin distinct partout où il y a une fonction caractérisée, ayant son organe terminal, son organe central et ses connexions avec toutes les autres grandes fonctions de l’économie. Comment se constitue le besoin moral ? Il semble qu’ici la réponse soit moins facile, car les fonctions essentielles de l’esprit ne paraissent point liées à un organe ou à un appareil circonscrit : mais nous n’avons pas à traiter à fond cette question. Chacun sait ce que c’est que le besoin de la sociabilité, le besoin de liberté, le besoin d’affection, le besoin de connaître ; il n’y a aucun doute sur leur existence ; et ce qui ne fait également aucun doute, c’est qu’ils sont surtout constitués par des croyances, c’est-à-dire par des représentations et des idées qu’élabore l’activité propre de l’esprit. Cet élément intellectuel intervient déjà dans les besoins physiques à quelque degré : il y intervient à titre de cause secondaire, aidant ou contrariant le mouvement déjà commencé, mais ne présidant point à l’origine de ce mouvement. Peu à peu, il se dégage et vit de sa vie propre, en gardant cependant quelque chose du ton que chacun des organes de l’économie contribue pour sa part à lui donner. Quand des ensembles plus ou moins bien groupés, d’idées et d’images, indiquent à l’être total une fin qui