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raux et à des lésions centrales, il paraît que l’absence apparente de besoins, le manque d’appétit tient au contraire à des affections locales plus ou moins circonscrites. Il est clair que si l’organe spécialement chargé de la fonction ne peut l’accomplir sans souffrance, l’individu recule devant l’accomplissement de cette fonction ; il s’en détourne même le plus qu’il peut. Le besoin doit dès lors se calmer de plus en plus et finir par cesser de se faire sentir. Ainsi un cancer à l’estomac produira de l’ « anorexie[1] ». Si la cause locale paraît ici prépondérante, elle n’est cependant pas seule à être invoquée[2]. « L’anorexie, dit un savant professeur, tient aussi très souvent au mal de quelque organe étranger en apparence au travail de la digestion, reins, vessie, utérus. » Et un autre[3] dit de son côté : « On peut trouver dans la vue, l’odorat, la bouche, les dents, la langue, la cause du manque d’appétit. »

Enfin si, à l’inverse de ce que nous avons vu pour les faux besoins, la cause d’ordre cérébral est moins souvent signalée, elle ne laisse pas que de l’être encore quelquefois, l’anorexie étant souvent le « prodrome d’une méningite tuberculeuse[4] ».

Le dégoût, quand il est à son plus bas degré, n’est guère autre chose que cette indifférence à la fonction ou de crainte de la fonction. Mais il peut prendre un caractère plus violent ; et alors, au fur et à mesure que cette violence s’accuse davantage, nous voyons le foyer du phénomène s’étendre graduellement depuis l’organe local jusqu’aux centres nerveux et de là à la totalité de l’économie. Si l’excitation (de la substance qui dégoûte) est faible, dit M. Ch. Richet[5], elle n’agit que sur le pneumo-gastrique : il y a dégoût sans nausée ni vomissement. Si l’excitation est plus forte, au lieu de se borner au pneumo-gastrique, elle s’irradie et se porte sur presque tout le système nerveux de la vie organique. La face pâlit, les muscles lisses de la peau se contractent, la peau se couvre d’une sueur froide, le cœur suspend ses battements. En un mot, il y a perturbation organique générale, consécutive à l’excitation de la moelle allongée, et cette perturbation est l’expression suprême du dégoût.

  1. Il faut ranger dans la même catégorie le priapisme, non tel que se l’imagine le vulgaire, mais tel que le définissent les médecins. Le priapisme est une phlegmasie aiguë de la membrane muqueuse vésico-uréthrale qui amène, dans les circulations locales et par suite dans les tissus érectiles de ces organes, des troubles considérables. Mais loin que le patient soit pris alors, ainsi que dans le satyriasis, d’une sorte de fureur sauvage, il redoute au contraire un acte qui accroîtrait encore sa souffrance.
  2. Béhier, art. anorexie du Grand Dictionnaire Dechambre.
  3. Lasègue, Études, t.  I, p. 419.
  4. Béhier, article cité.
  5. Ch. Richet, L’homme et l’intelligence, t.  II.