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l’amitié de Métrodore de Lampsaque remplaça pour lui celle de Périclès, et une petite ville de l’Hellespont s’honora d’offrir un asile au proscrit accusé d’athéisme[1].

Anaxagore nous apparaît ainsi comme le premier exemple d’un savant subventionné par un chef d’État ou par de riches particuliers, tout en gardant son entière indépendance, ce que ne feront guère, plus tard, ceux qui accepteront ou brigueront des situations analogues. En tout cas, une ère nouvelle est désormais ouverte ; jusqu’alors la science était uniquement œuvre de loisir ; maintenant, en se répandant et en élargissant le cercle de ses adeptes, elle en acquiert d’assez peu fortunés pour qu’ils soient obligés de songer non seulement à ses progrès, mais encore à leur propre pain quotidien.

J’ai parlé de l’homme, disons quelques mots du savant.

Anaxagore devait avoir déjà acquis une certaine notoriété quand il vint à Athènes[2], et sans doute il avait déjà publié une partie de ses opinions ou de ses découvertes. Le témoignage de Diogène Laerce, d’après lequel il n’aurait laissé qu’un seul écrit[3], n’exclut pas des publications purement mathématiques ou astronomiques, et, de ce qu’Hérodote, par exemple, rapporte l’opinion d’Anaxagore sur la cause des inondations du Nil, nous n’en pouvons conclure que les Histoires soient postérieures au Traité sur la nature.

Cependant ce dernier ouvrage est, sans contredit, le véritable titre de gloire d’Anaxagore, car il y avait évidemment réuni l’exposé de ses diverses idées scientifiques, et il doit, avant tout, être considéré comme un physiologue.

Sa réputation comme géomètre n’est pas suffisamment assise : elle repose surtout sur un passage du dialogue platonicien les Rivaux, où il est parlé de lui et d’Œnopide, mais à propos d’une discussion en réalité astronomique ; c’est d’après ce passage (et non pas d’après Eudème) qu’il figure, à côté d’Œnopide, dans la liste des géomètres

  1. Lampsaque était une colonie de Milet, où, après la ruine de la métropole en 496, purent se conserver les traditions de la patrie de Thalès et d’Anaximandre ; Archélaos semble y avoir succédé à Anaxagore comme chef d’école. Au siècle suivant, une autre cité voisine, également colonie de Milet, Cyzique, possédera une école de mathématiciens et d’astronomes (Eudoxe, Hélicon, Polémarque, Callippe) de la plus haute importance ; mais de Lampsaque sortirent encore plusieurs personnages remarquables, notamment le rhéteur Anaximène, maître d’Alexandre-le-Grand, et le péripatéticien Straton, successeur de Théophraste.
  2. La chute de la pierre météorique d’Ægos-Potamos dont on lui attribua plus tard la prédiction, a eu lieu dès 468/7.
  3. Divisé d’ailleurs en plusieurs livres, puisque Simplicius cite : ἐν τῷ πρότῳ τῶν Φυσικῶν.