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TANNERY.la théorie de la matière d’anaxagore

de Proclus, avec la mention vague : « il a abordé beaucoup de points géométriques ». Évidemment on ne peut traiter de l’astronomie sans avoir des connaissances géométriques assez étendues, mais il ne s’ensuit pas de là qu’Anaxagore ait fait faire des progrès à la géométrie proprement dite.

D’après Vitruve (VII), il aurait écrit sur la scénographie, c’est-à-dire sur la perspective appliquée à la décoration théâtrale, question particulièrement intéressante à Athènes[1] ; c’est certainement à tort que l’on a voulu faire rentrer un traité aussi technique dans l’ouvrage sur la Nature ; il est probable au contraire que ce traité était conçu sous forme géométrique, et que ce fut un des prototypes du livre assez imparfait qui nous reste d’Euclide sous le nom d’Optiques. Anaxagore aurait donc été le créateur de cette branche de la géométrie appliquée, mais le niveau très inférieur où elle restait encore, très longtemps après lui, montre assez qu’il ne s’éleva guère au-dessus des notions les plus élémentaires, et que Démocrite, qui reprit la même question après lui, ne dut pas faire beaucoup mieux.

Enfin Plutarque (De exilio) nous le montre s’occupant, dans sa prison, de la quadrature du cercle : mais ce peut être une légende sans authenticité ; cette question était certainement à l’ordre du jour parmi les géomètres de ce temps, et dans une prison, la science pure est encore l’occupation la plus facile. La légende semble donc habilement conçue d’après le caractère d’Anaxagore ; en tout cas, ce travail prétendu n’a laissé aucune trace, n’a exercé aucune influence saisissable.

Pour l’astronomie, les titres d’Anaxagore sont mieux établis : il a l’immortel honneur d’avoir le premier donné l’explication véritable des éclipses et des phases de la lune ; mais il convient de remarquer que cette explication fut une hypothèse de physicien, non pas le résultat des observations d’un astronome.

J’ai déjà expliqué[2] comment Anaxagore avait été conduit à cette hypothèse d’une part, Anaximène avait imaginé des astres obscurs dont l’interposition pouvait produire les éclipses ; d’un autre côté, les Pythagoriciens (Parménide) regardaient déjà la lune comme ayant une partie obscure et une partie lumineuse toujours tournée vers le soleil, ce qui est l’explication chaldéenne des phases. Anaxagore n’avait donc qu’à remarquer qu’un corps solide obscur, tel que le supposait Anaximène, devait naturellement, par suite de son éclairement pour le soleil, présenter précisément les phénomènes des

  1. Déjà, du temps d’Eschyle, l’auteur de la décoration scénique, un Agatharchos, avait écrit un commentaire sur ce sujet.
  2. Revue phil., déc. 1883, pp. 631-2. — Sept. 1884, pp. 276-279.