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phases, et que la lune, considérée dès lors comme opaque, suffisait pour expliquer les éclipses du soleil. L’idée de tenir compte de l’éclairement l’amenait à tenir également compte des ombres, et il rencontra ainsi de la sorte l’explication des éclipses de lune.

Comme physicien, il alla plus loin, trop loin même : il conclut que la lune est une terre semblable à la nôtre et habitée comme elle, que tous les astres, le soleil lui-même sont des solides incandescents. Ces hardis paradoxes attirèrent sur lui la première accusation d’impiété qui ait atteint les novateurs scientifiques ; mais comme astronome, malgré sa découverte capitale, il resta relativement arriéré, et maintint malheureusement contre les doctrines pythagoriciennes les antiques croyances ioniennes.

Il croit encore la terre plate ; tous les astres ont pour lui la même forme, en sorte que son explication des phases reste, en réalité, tout à fait insuffisante ; il conserve l’hypothèse d’Anaximène sur l’existence de corps célestes obscurs qu’il croit encore nécessaire pour expliquer en partie, soit ces phases, soit certaines éclipses lunaires ; son explication des mouvements propres du soleil et de la lune revient également à celle d’Anaximène.

Il suppose ces deux astres très rapprochés de la terre, et même à une distance si faible qu’il est difficile d’expliquer comment il n’a pas reconnu son erreur.

On ne peut guère non plus se rendre bien compte de la singulière hypothèse qu’il émettait relativement à la voie lactée : d’après lui, le soleil, étant plus petit que la terre, l’ombre de celle-ci devait s’étendre indéfiniment ; la trace de cette ombre sur le ciel serait précisément la voie lactée, parce que, disait-il, les étoiles situées en dehors, se trouvant, même pendant la nuit, dans la partie du ciel où parviennent les rayons solaires, leur lumière propre en est offusquée, tandis que dans le cercle d’ombre, la lueur des astres apparaît sans aucune diminution ; c’est dire que, si le soleil disparaissait, le ciel tout entier nous présenterait la même apparence que la voie lactée.

Cette conjecture, au point de vue purement physique, est certainement ingénieuse pour l’époque ; elle montre en tout cas combien Anaxagore se préoccupait des lois de l’éclairement dont il avait fait une première et heureuse application ; mais elle semble en même temps prouver qu’il ne se préoccupait nullement d’une observation tant soit peu exacte ; autrement il aurait immédiatement reconnu que la voie lactée garde toujours la même situation par rapport aux fixes, tandis qu’une trace de l’ombre terrestre sur le ciel aurait à se déplacer singulièrement en même temps que le soleil ; d’autre part, la lune aurait dû s’éclipser toutes les fois qu’elle traverse la voie