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abondent ; et la forme aphoristique, nette et concise, leur donne un puissant relief. Le bonheur est relatif et peu durable, et la mort n’est pas si affreuse que le vulgaire se l’imagine, no es gran cosa vivir, et la brièveté de la vie n’est point un malheur.

Un des plus longs chapitres est celui qui traite de la félicité compatible avec la nature humaine. Le bonheur parfait, la béatitude, bienaventuranza, consiste dans la sagesse, dans la connaissance des causes et de toutes les choses de ce monde, telles qu’elles sont, como son, et dans la prudence qui sait en toute occasion se tenir à distance des extrêmes. C’est ce juste milieu dans le choix de tout ce qui aide à vivre, qui rend l’homme heureux par la joie d’une bonne conscience. Pour être heureux, il faut être sage et bon. Du développement de cette thèse il résulte que la sagesse, condition du bonheur, se contente de peu. La grande science n’est point nécessaire, et l’auteur recommande trois ou quatre livres d’auteurs mystiques, en même temps que le sien, la contemplation intérieure et l’observation des phénomènes de la nature. Il est de fait que beaucoup de savoir épuise l’esprit et dessèche le cœur. Les types les plus achevés de l’égoïsme se rencontrent parmi les savants qui ne vivent que par la tête. Rarement l’érudition se rencontre avec l’originalité, et les purs érudits, bien que n’ayant pas de plus grande passion que la curiosité, ne connaissent point les plus exquises jouissances de l’esprit. Penser et savoir sont deux, et les plus gros savants saisissent rarement les rapports des choses.

À propos des avantages de la médiocrité, l’auteur cite d’admirables vers de Garcilaso et quelques distiques latins de Politien, et il répond finement à son interlocuteur, qui lui demande de citer d’anciens auteurs : Poco va en la antiguedad de los autores, cuando la cosa está bien dicha, et là-dessus il cite des poètes populaires, Juan de Mena, Hernando del Pulgar, Fray Luis de Léon, opposant les modernes aux anciens. Le meilleur usage qu’on puisse faire de la fortune, c’est de l’employer au soulagement des pauvres. Le vrai bonheur naît d’une conscience pure, con el alegria verdadera de la buena conciencia serás felice.

À mesure qu’il superpose un étage à sa construction, l’auteur reprend l’édifice par les fondements, n’épargnant ni les répétitions ni les résumés. Si cette manière de composer n’est point conforme aux règles d’un art raffiné, elle a du moins l’avantage de la sincérité la plus parfaite, et de la clarté nécessaire en un sujet nouveau. On se défie moins de l’artiste qui dédaigne l’artifice, et la simplicité un peu naïve de l’exposition gagne les sympathies du lecteur. Évidemment il y a là un effort constant vers un but très louable, qui est