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J’aurais voulu analyser les nombreux chapitres où sont franchement et parfois fortement critiquées les preuves spiritualistes de l’existence de Dieu. L’auteur, soucieux d’être clair et d’être lu, même par les simples amateurs de philosophie, s’est imposé la tâche d’analyser, presque de disséquer les arguments de ses adversaires. Son expérience de professeur de mathématiques lui a sans doute appris qu’un bon maître peut redire deux et plusieurs fois les mêmes choses sans se répéter exactement. Dans un enseignement bien fait, toute répétition nouvelle n’équivaut-elle pas à un commentaire nouveau ?

Voilà donc les preuves de l’existence de Dieu mises en déroute, mais Dieu ne s’en porte pas plus mal. « L’hypothèse spiritualiste[1] est actuellement, selon nous, la meilleure des hypothèses. Sans doute, nous ne l’acceptons qu’à titre d’hypothèse probable, et sous réserve de l’avenir ; mais nous devons aussi le dire pour mettre à nu notre pensée : le vide immense que nous laisserait la négation de Dieu ne nous attire pas ; notre esprit y répugne, n’ayant pas le goût du vertige ; et nous estimons qu’il serait toujours temps de nous y résigner, si jamais tout motif de foi venait à disparaître devant quelque révélation inattendue de la science. »

Toutefois M. Bertauld refuse à son Dieu d’être créateur ; il voudrait qu’on acceptât, comme élément du concept divin, l’idée de l’immanence comprise à la façon d’Aristote. Il ne craint pas le reproche de dualisme, et il estime que « l’unité absolue posée à priori n’est qu’une vue arbitraire de l’esprit, vue qui peut lui plaire, mais qui ne s’impose nullement à lui ; n’étant point marquée du caractère de nécessité, elle ne constitue qu’un possible, et l’étude seule de l’Univers peut nous renseigner sur sa réalité : or, tant que dans son état présent, l’Univers semblera contenir des natures d’êtres essentiellement différentes, il nous sera permis de penser qu’il en a toujours été de même à un moment quelconque de l’éternelle durée, et par suite de ne voir dans l’unité du cosmos qu’une unité purement harmonique[2]. »

De toute éternité existent l’espace, la matière, coéternelle à l’espace, l’éther, l’esprit. « Enfin il est des faits[3], particulièrement les faits vitaux, dont l’esprit et la matière ne suffisent pas, selon nous, à rendre compte, et pour l’explication desquels il nous semble indispensable de recourir à la conception d’Anaxgore, à l’idée d’un Nous organisateur, d’une intelligence ordonnatrice de l’univers ».

Je ne pense guère, ni M. Bertauld non plus, que tous les philosophes accepteront cette doctrine cosmogonique. D’abord les monistes lui opposeront une fin de non-recevoir, et la raison, c’est qu’ils sont monistes. Les autres le presseront de définir l’espace et de les convaincre que l’espace n’est ni un corps, ni un esprit, et qu’il n’en existe

  1. T. III, p. 118.
  2. P. 424.
  3. P. 425.