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ANALYSES.ch. bénard. La philosophie ancienne.

partie, de mettre le lecteur instruit qui s’intéresse à ces matières au courant de la science actuelle et de ses plus récents travaux, en ce qui concerne les principaux systèmes de la philosophie ancienne. Il ne s’est pas proposé de faire connaître et d’apprécier les divers systèmes qui se sont produits aux époques antérieures à celle où nous vivons, de retracer la marche et les procédés de la raison spéculative qui les a créés, de déterminer les lois de leur développement. On peut regretter que M. Bénard ait ainsi limité, de propos délibéré, le champ de ses recherches : des travaux de l’érudition moderne lui auraient permis, croyons-nous, de faire à propos de la philosophie grecque et latine une œuvre originale et intéressante. Grâce au progrès des études historiques et mythologiques, grâce aux renseignements incessants que l’archéologie nous fournit sur le monde gréco-romain ; en utilisant en outre les principaux travaux publiés en France depuis le commencement du siècle, en se proposant de faire connaître plutôt que d’apprécier les doctrines philosophiques, en cherchant à les replacer dans leur milieu scientifique, historique, religieux, politique, littéraire et artistique, on pourrait composer peut-être un ouvrage plus exact, plus vivant et aussi savant que celui de M. Zeller. Mais nous aurions mauvaise grâce à critiquer M. Bénard de ce qu’il n’a pas fait ; il sera beaucoup plus utile de faire connaître d’abord quelques-unes des idées que nous rencontrons dans l’Introduction par laquelle s’ouvre le volume.

Selon M. Bénard, la base de tout système philosophique est métaphysique. Aussi combat-il avec vivacité deux opinions qui lui paraissent ôter à l’histoire de la philosophie son véritable intérêt, son importance et son utilité : le positivisme qui retranche de la philosophie la métaphysique, la recherche des causes premières ou des premiers principes ; et une doctrine qui, acceptée par les esprits les plus différents, Cournot, Renan, Ravaisson, Renouvier, Ribot, ne fait pas de la philosophie une science, mais un produit spécial de l’esprit humain, analogue à l’art, à la religion, à la poésie, pour laquelle un système est une création mixte de la pensée, due à la fois à la raison, à l’imagination, au sentiment, et n’ayant qu’une valeur personnelle. M. Bénard proteste énergiquement aussi contre la méthode qu’il appelle l’art d’accoucher les grands esprits : elle n’est propre, dit-il, qu’à défigurer et à falsifier les systèmes en prêtant à des esprits très différents de celui de l’historien, placés dans des circonstances différentes, une manière de voir et de juger semblable à la nôtre. On ne peut qu’applaudir à cette critique, et il serait à souhaiter que beaucoup de bons esprits, qui ont été séduits par le talent de M. Fouillée, renonçassent à cette méthode de conciliation qui nous a donné un Platon dont toutes les doctrines paraissent former un système comparable par la rigueur au Spinozisme, mais absolument différent du Platon que révèle la lecture attentive et désintéressée des textes. L’historien de la philosophie est chargé, avant tout, comme le dit très bien M. Bénard, de faire connaître les systèmes, sauf à lui ensuite de les