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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

objet de perception, mais par une réflexion immédiate[1]. Cela est vrai, profond même, mais voudrait être plus solidement établi. Il n’aborde nulle part, que nous sachions, le problème du libre arbitre ; il se contente d’affirmer la liberté comme une condition de la morale[2]. L’activité même du moi, qui est son essence, ne consiste qu’à « percevoir des idées, — c’est l’entendement à produire des idées ou à opérer sur elles, — c’est la volonté[3] ». Enfin dans la Siris il fera de l’unité le fond le plus intime de notre être, ce qui est encore peu clair et bien abstrait. Il lui manque une psychologie, surtout une psychologie de la volonté.

Sa situation d’ailleurs était embarrassante. Il s’agissait de faire évanouir la matière en soi, pour établir plus solidement l’existence de Dieu. La réalité prétendue de la matière devait faire retour aux esprits. Mais il n’était pas prudent de donner trop à l’esprit humain ; car s’il fait, en tant qu’il les perçoit, tout l’être des choses ; s’il produit certaines de ses modifications ; si, en un mot, il manifeste une causalité véritable, n’est-il pas à craindre que cette activité, débordant les limites de la conscience, ne soit la raison secrète et des mouvements instinctifs, et des lois que nous découvrons dans la nature, et des rapports qui unissent entre eux les différents ordres de perceptions ? Dès lors que resterait-il pour la causalité divine et quelle valeur conserverait notre prétendue preuve de l’existence de Dieu ? Le moi de Berkeley deviendrait quelque chose d’absolu, comme le moi de Fichte.

Il fallait donc, tout en laissant à l’âme l’activité, renfermer rigoureusement celle-ci dans les limites de la conscience, c’est-à-dire du présent. Le temps d’ailleurs n’existe que dans l’esprit, il n’y a d’autre durée que celle de la conscience[4]. Tout ce qui n’est pas présent n’existe pas, qu’il s’agisse de notre vie interne, ou des idées que nous appelons des objets. Une étendue trop petite pour être vue n’est rien[5] ; les phénomènes inconscients du dedans ne sauraient exister. Ce n’est pas l’âme qui meut les membres du somnambule ou du dormeur, les doigts du musicien exercé : c’est Dieu[6]. La part d’activité qui nous est propre est donc à chaque instant déter-

  1. Princ. of hum. Knowledge, sect. 2, 27, 142. — Dial., Hyl. et Phil., III. — Fraser, I, p. 328.
  2. Commonplace Book. Fraser, p. 430.
  3. Princ. of Hum. Knowl., sect. 27.
  4. Princ. of Human Knowledge, sect. 98.
  5. An Essay towards a new theory of vision, sect. 80. — Princ. of human Knowledge, sect. 124.
  6. Siris, sect. 257.