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la totalité des nations et des siècles, depuis le commencement jusqu’à la fin du monde[1]. »

Qui veut la fin veut les moyens ; toute maxime de conduite qui aux yeux de la droite raison a une connexion nécessaire avec le bonheur de l’espèce humaine, doit être considérée comme un décret de Dieu, partant comme une loi pour l’homme.

« De telles propositions sont appelées lois de nature, parce qu’elles sont universelles et qu’elles dérivent leur caractère obligatoire non de quelque sanction civile, mais immédiatement de l’auteur même de la nature. On dit qu’elles sont imprimées dans l’âme, gravées dans les cœurs, parce qu’elles sont bien connues du genre humain, suggérées et inculquées par la conscience. Enfin on les appelle lois éternelles de la raison, parce qu’elles résultent nécessairement de la nature des choses et qu’elles peuvent être démontrées par les infaillibles déductions de la raison[2]. »

Ces lois, ni l’intérêt privé, ni l’amitié, ni l’amour du bien public ne doivent nous en affranchir. La bienveillance même et la charité ne sauraient être des motifs suffisants pour nous dispenser jamais de les suivre ; car la passion n’est pas une règle fixe et peut conduire à tous les excès ; le danger est même d’autant plus grand que la passion est plus généreuse et qu’un poison plus doux s’insinue par elle dans le cœur.

Dieu ne dérange pas les lois du monde parce qu’elles produisent des maux particuliers et transitoires : qui niera pourtant qu’elles n’aient pour but et pour effet le plus grand bien de l’univers ? De même l’homme n’a pas le droit de suspendre les lois morales pour se dérober ou soustraire quelques-uns de ses semblables aux maux qu’elles peuvent accidentellement produire. Elles sont vérités éternelles et immuables au même titre que les propositions de la géométrie. Elles ne dépendent d’aucune circonstance ; « elles sont vraies partout et toujours, sans limitation, sans exception[3].

Telles sont les règles : « Tu ne te parjureras pas, tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne prendras pas le bien d’autrui. » Rien de plus évident que le rapport de ces préceptes avec le bonheur du genre humain. La déduction est à peine nécessaire.

Berkeley observe que les lois morales, celles du moins qui ont le caractère d’obliger universellement et sans condition, s’expriment toujours sous une forme négative. En effet, il arrive souvent, soit

  1. Passive obedience, § 10.
  2. Passive obedience, § 12.
  3. Passive obedience, § 14, 53.