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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

matière en soi ; il a réfuté Collins, Mandeville, Shaftesbury, combattu l’étendue-substance de Descartes, la monade de Leibniz, l’attraction newtonienne et jusqu’au principe du calcul infinitésimal ; c’est encore en soldat de la vérité qu’il est parti pour les Bermudes. Le voilà dans sa retraite de Cloyne : sa philosophie, comme sa vie, a cessé d’être militante, il lit et médite, laisse sa pensée poursuivre son ascension de principe en principe, jusqu’à l’Un suprême, peu soucieux des objections et des preuves, s’enchantant, sans trop s’interroger sur l’authenticité des textes, des échos de la sagesse antique, où il croit surprendre comme le souffle affaibli d’une inspiration sacrée. C’est ainsi que Platon, parvenu au bout de ses jours et au sommet de son génie, laisse à de plus jeunes les procédés de réfutation, les armes de la dispute, et ressuscitant les vieilles doctrines pour leur donner un plus beau sens, expose plus qu’il ne démontre dans ces œuvres magistrales et sereines, le Timée, les Lois. Une critique exigeante peut les traiter de romans philosophiques, comme la Siris : nous croyons qu’elle aurait tort. Quand une grande intelligence a pensé toute sa vie, ce qu’elle a pensé à la fin, en pleine possession d’elle-même, est ce qui doit nous intéresser le plus, et qui, dans la mesure où les productions humaines en sont capables, doit contenir le plus de vérité.

On connaît le point de départ de la Siris, le premier anneau de cette chaîne de réflexions et de recherches. Berkeley prétend expliquer les propriétés merveilleuses qu’il attribue à l’eau de goudron. L’huile ou baume que sécrètent les arbres résineux, purifiée à travers les pores des racines, raffinée encore par l’action de l’air et du soleil, retient plus aisément l’esprit acide ou âme végétale. Cette étincelle de vie, cette âme des plantes (spark of life, spirit or soul of plants[1]) est beaucoup trop subtile pour être sensible, elle est contenue virtuellement ou éminemment dans la lumière solaire, « comme les couleurs dans la lumière blanche » ; et ce sont les organes capillaires des plantes qui, attirant, absorbant certains rayons, en extraient, pour ainsi dire, certaines saveurs et qualités.

Le soleil est ainsi le principe générateur ; de sa lumière la terre reçoit la vie ; il est vraiment, comme dans l’hymne homérique, l’époux céleste qui la féconde : ἄλοχ’ οὐρανοῦ ἀστερόεντος[2].

L’âme des plantes est identique à l’esprit acide, ou sel volatil, à qui Newton, Boerhaave, Homberg, paraissent attribuer un rôle considérable dans les combinaisons ou dissolutions chimiques. C’est

  1. Siris, sect. 40.
  2. Siris, sect. 43.