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CARRAU.la philosophie religieuse de berkeley

tions et des corruptions ; si vif dans ses mouvements, si subtil et si pénétrant dans sa nature, si varié et si multiple dans ses effets, il semble n’être autre chose que l’âme végétative ou l’esprit vital de l’univers[1]. »

Cette âme du monde, ce feu invisible, cet éther infatigable et partout répandu, est le principe commun de ces énergies vitales particulières que renferment virtuellement les rayons du soleil, de ces étincelles de vie qui constituent les âmes des plantes. Elle est chez l’homme l’esprit animal[2], l’instrument par lequel l’intelligence active et libre se manifeste dans les mouvements du corps. Seulement l’esprit de l’homme agit par cet instrument nécessairement, l’esprit divin, librement. Dans le gouvernement de l’univers, il n’y a véritablement qu’une cause, l’esprit de Dieu : le feu ou l’Ether est son premier ministre ; le feu agit sur l’air, volatilisant les particules des choses terrestres qu’il contient. Les agents mécaniques ou causes secondes ne méritent pas, à proprement parler, le nom de causes, ils sont en réalité des effets ; leur régularité atteste la sagesse et la bonté de l’agent suprême qui, sans être enchaîné à cet ordre, a voulu, par lui, rendre l’univers intelligible et profitable aux esprits créés. Ce sont des signes nécessaires « pour assister, non le gouverneur, mais les gouvernés[3]. »

Aussi, dans le monde, la variété, la diversité sont-elles irréductibles à l’unité de force et de loi. « L’éther pur contient certaines parties de différentes espèces, qui sont pénétrées par des forces différentes ou soumises à des lois différentes de mouvement, attraction, répulsion, expansion, et douées de dispositions et habitudes distinctes relativement aux différents corps[4]. » Ces différences toutes dynamiques des modes de cohésion, attraction, répulsion, sont la source d’où dérivent les propriétés spécifiques, beaucoup plutôt que la diversité des formes et figures. — Berkeley va jusqu’à prétendre, nous l’avons déjà remarqué, que tout n’obéit pas dans le monde inorganique à la seule loi de la gravitation : les particules de l’eau s’attirent ; mais celles de l’huile et du vinaigre se repoussent[5]. Sa physique fait aujourd’hui sourire ; mais il a bien compris que le déterminisme et la pure quantité géométrique ne peuvent rendre compte ni de la variété, ni du mouvement, ni de la vie de l’univers.

  1. Sect. 152.
  2. Mélangée à l’air et comme fixée par lui, elle est contenue dans le cerveau et peut quelquefois devenir visible (sect. 205).
  3. Siris, sect. 160, et Princip. of Human Knowledge, sect. 60 à 62.
  4. Siris, sect. 162.
  5. Sect. 235.