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La nécessité, c’est, au fond, l’identité et l’immobilité de toutes choses. La véritable raison des phénomènes est dans les causes finales, lesquelles excluent le mécanisme, et le ramènent à des considérations de convenance et de sagesse. Socrate critique justement Anaxagore : le bien est la suprême explication. Dans les masses considérables et les mouvements apparents, la régularité des lois de la nature revêt un caractère de rigidité inflexible ; mais elle n’empêche pas que l’agent suprême ne puisse librement communiquer une impression particulière au milieu subtil, de même que l’âme humaine imprime des mouvements volontaires à l’esprit animal. Le miracle n’est ainsi qu’une touche délicate du doigt divin sur l’Ether universel.

Moteur de toutes choses, et mû lui-même par Dieu, le feu élémentaire est comme le véhicule de l’intelligence souveraine. Il transmet et reçoit son action partout où se manifeste une pensée inconsciente, un art irréfléchi. C’est ainsi que l’intelligence divine dirige les mouvements instinctifs de l’homme, gouverne les araignées et les abeilles[1]. Car le feu n’est lui-même ni intelligent ni divin ; en cela seul, les anciens se sont trompés. Ils ont confondu l’âme du monde avec Dieu même ; mais leur erreur est moins grave que le mécanisme et l’athéisme modernes. Dire que Dieu est tout, que Dieu est dans tout, ce n’est pas être athée. Le nombre n’est rien en soi, l’unité, c’est nous qui la faisons, et la même chose considérée à des points de vue différents est une ou plusieurs. La faute est donc légère, d’enfermer en une seule notion Dieu et les créatures, pourvu que l’intelligence soit regardée comme souveraine (ἡγεμονικὸν)[2]. Dieu est sagesse, ordre, loi, vertu, bonté ; mais il est permis de pénétrer plus avant dans sa nature. Non que ses attributs intellectuels et moraux soient de simples entités, des produits de notre faculté d’abstraire. De telles notions sont des idées, au sens platonicien ; des idées, c’est-à-dire des réalités intelligibles, des causes, dont l’intuition, en quelque sorte innée, illumine et gouverne la partie la plus élevée de l’intellect[3]. — Mais au-dessus de l’esprit et de l’intelligence universels, de l’activité et de la pensée divines, la raison entrevoit l’Unité ou le Bien. C’est là la première hypostase, la source même de la Divinité (fons Deitatis). Elle est, en un sens, supérieure à l’Être, comme le voulaient Parménide, Platon, les

  1. Sect. 257. — Berkeley ne s’inspire-t-il pas ici, sans le dire, d’Aristote (De gener. anim., III ; Métaph., I, 1) et de Virgile (Géorg., IV, 220), qui attribuent aussi aux abeilles quelque chose de divin ?
  2. Sect. 288.
  3. Sect. 335.