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Parmi beaucoup d’observations intéressantes, cette étude contient, comme on peut s’y attendre, d’assez nombreuses erreurs, surtout en ce qui concerne les explications physiologiques. Ainsi, ce n’est pas du cerveau, mais du cœur que dépend la vision, dont l’organe immédiat, l’œil, est cependant assez bien décrit ; mais on n’avait aucune connaissance, à cette époque, des nerfs optiques. Il y a toutefois, au point de vue des connaissances physiologiques, un grand progrès depuis le Timée, dans lequel Platon se fait une si fausse idée du rôle des organes ; les sens étaient pour lui de simples passages ouverts aux impressions du dehors, plutôt que des organes proprement dits. Cette analyse des sens, dans le Traité de l’âme, se complète dans les chapitres du troisième livre où Aristote traite du sens commun. Il examine, dans ces chapitres, des questions qui nous intéressent encore aujourd’hui : Comment des sensations de qualités nous donnent-elles la connaissance de choses, concrètes ? Comment distinguons-nous entre les rapports d’un sens et ceux d’un autre ? D’où viennent les erreurs des sens ? etc. C’est à les résoudre que sert la théorie du sens commun.

Chaque sens particulier perçoit des qualités particulières. Or, il n’y a pas de perception proprement dite si les sens restent isolés. La perception est un mouvement de l’esprit à travers le corps et c’est seulement par rapport à cette union de tous les sens dans une faculté mentale commune que nous pouvons percevoir. On prouverait l’existence de ce sens supérieur (κύριον αἰσθητήριον) par ce fait seul que certains de nos sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, ont deux organes, tandis que nous ne percevons cependant qu’une couleur, qu’un son, etc.

Le sens commun a deux fonctions : il nous permet de distinguer nos sensations, et c’est à lui que nous devons la conscience de la sensation. Pour distinguer des qualités différentes comme le blanc et le noir, et surtout le blanc et le doux, il faut un acte de comparaison. Cet acte ne peut être accompli par deux facultés distinctes. Il est l’œuvre d’une faculté centrale qui est une, quant au temps, au lieu et au nombre, mais différente dans son usage et ses applications (τῷ εἶναι) : ainsi le point, qui est un et deux à la fois, suivant qu’on le considère en lui-même, ou comme la fin d’une ligne et le commencement d’une autre. Le sens commun peut également embrasser deux qualités contraires et les comparer, sans perdre lui-même son unité. Nous avons vu plus haut que chaque perception particulière enveloppait aussi la mesure de l’opposition des qualités sensibles. Le sens commun ne se borne pas à cet acte de comparaison qui lui fait distinguer les qualités différentes que rapportent les sens. C’est à lui aussi de percevoir les sensibles communs (κοινὰ αἰσθητὰ), que nous percevons en même temps que les diverses qualités des corps ; tels sont le mouvement, la grandeur, le nombre, la figure. On ne peut les rapporter à aucun sens en particulier. Si ces qualités communes en effet étaient perçues par un seul sens, ce serait ou bien à la façon dont la vue, par exemple, nous fait connaître le doux avec telle ou telle couleur, c’est-à-dire en vertu d’une