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REVUE GÉNÉRALE.penjon. Psychologie d’Aristote

association d’idées, parce que nous avons une fois déjà perçu ces deux qualités ensemble ; ou bien par accident, de même que nous percevons accidentellement (κατὰ συμϐεϐηκὸς) le fils de Cléon en percevant la couleur blanche. Or, ce n’est pas par accident que ces qualités communes s’ajoutent aux qualités perçues par chaque sens particulier. Il est facile de s’en rendre compte. Reste la première hypothèse. Même en l’admettant, il faut supposer un sens commun. Car pour percevoir maintenant, au moyen d’un sens, la qualité qui est l’objet d’un autre sens, comme l’amer à propos du jaune, il faut que ces deux sens aient d’abord perçu ensemble ces deux qualités, comme une sorte de faculté complexe (οὐχ ᾗ αὐταί, ἀλλ’ ᾗ μία), et les sensibles communs ne peuvent pas davantage être perçus par un sens spécial. Sans doute, la vue et les autres sens particuliers peuvent contribuer beaucoup à nous les faire connaître ; mais c’est en définitive le sens commun qui en est la source première. Ce même sens, qui a le pouvoir de comparer des sensations séparées, a aussi le pouvoir de nous rapporter à nous-mêmes ces sensations, de nous les présenter comme nôtres. Par lui, nous percevons que nous percevons. Et, en effet, comment, par exemple, avons-nous conscience de la vision ? Par la vue, ou par un autre sens. Si c’est par un autre sens, nous aurons donc deux sens se rapportant au même objet, ce qui est excessif ; ce sera donc par la vue elle-même. Mais il faut entendre par là, moins la vue proprement dite, que ce sens central dont l’exercice se lie intimement à l’exercice de tous les sens particuliers, ce qui est le fondement de toute notre capacité de percevoir, où se trouve le commencement, le principe de toute sensation. Comme les autres sens, il doit avoir un organe, ou du moins un corrélatif dans l’organisme. Ce n’est pas le cerveau, qui est trop froid, mais le cœur. Le cœur en est, en quelque sorte, le siège, sans se confondre avec lui, comme quelques commentateurs l’ont pensé.

Il est à remarquer que Platon n’avait pas admis l’existence de cette espèce de sixième sens que nous voyons conserver jusqu’au xviie siècle. Pour lui, c’est l’esprit lui-même qui en exerce les fonctions. Au fond, nous croyons l’avoir assez indiqué, Aristote n’en juge pas autrement ; sa doctrine du sens commun, comme le dit M. Wallace, est un exemple des entités que peut créer une analyse psychologique poussée à l’excès.

La perception sensible est, d’après le Traité de l’âme, une sorte de mouvement excité dans l’organe corporel de la sensation par un intermédiaire (que ce soit la chair même, l’air ou l’eau) entre cet organe et la qualité qui est l’objet de la sensation. De là, cette analyse des sens dû la physiologie est intéressée presque autant que la psychologie. Ce mouvement ne s’évanouit pas toujours avec la cause qui l’a produit. Lorsque ce mouvement subsiste, survit à la présence de l’objet qui a fait impression sur nos organes, il devient un fait d’imagination. L’imagination est en effet, pour Aristote, dans le sens restreint où il prend ce mot, « un mouvement qui résulte d’une sensation produite en acte ». Il la définit plus clairement encore en l’opposant aux autres opérations