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τῶν πράξεων). Il est libre, en un mot, et, avec cette liberté, capable de traduire le sensitif en rationnel, de construire un monde moral.

Les partisans d’une psychologie purement empirique ne peuvent donc pas se réclamer d’Aristote. Sans doute, l’auteur du Traité de l’âme n’était pas d’avis, comme nous l’avons vu, de négliger l’étude des faits physiologiques, et il était aussi frappé que n’importe quel psychologue contemporain de l’importance des relations du physique et du moral. S’il vivait aujourd’hui, il apprécierait à sa valeur cet immense progrès des sciences d’observation qui lui permettrait d’aborder, bien mieux qu’il ne l’avait fait, une foule de questions qu’il s’était déjà proposées et d’en soulever d’autres qu’il n’avait même pas soupçonnées. Il profiterait, en maître, de toutes ces ressources de laboratoire, de toutes ces informations cliniques ou autres, ignorées de son temps. Il y trouverait un admirable moyen de poursuivre cette histoire naturelle de l’âme, indispensable, il le disait il y a déjà plus de deux mille ans, à toute théorie psychologique. Mais aux résultats de ces recherches expérimentales, ce puissant génie ajouterait, pour les transformer, les vivifier, sa théorie de la raison, et le fait seul d’avoir tenté autrefois ce mode de philosopher écarte jusqu’à l’idée de voir en lui le précurseur de ces psychologues, gagnés au positivisme, pour qui les questions de métaphysique n’existent pas.

C’est même dans le Περὶ ψυχῆς, il me semble, plutôt que dans le Περὶ τῶν μετὰ τὰ φύσικα, qu’il faut chercher la véritable philosophie première d’Aristote. Dans sa Métaphysique, en effet, il traite déjà des objets de la pensée, et cette pensée a été, dans cet ouvrage même, et depuis, en philosophie, trop sacrifiée à ces objets quels qu’ils soient. La première réalité, pour nous, dans l’ordre de l’être, est le fait de penser, cette raison créatrice, qui est nous-mêmes en tant que nous sommes intelligents, et dont la collection de faits psychiques, prise pour l’âme, par quelques psychologues contemporains, quand ils daignent encore prononcer ce nom d’âme, est l’œuvre immédiate. Dans cette œuvre, parmi ces faits, se rencontrent les idées des choses qui composent notre monde sensible, celles des autres hommes, celle de Dieu, qui, au point de vue de la connaissance, est subordonnée, elle aussi, au fait de penser. Les idées que nous avons de notre propre corps viennent peu à peu se placer comme au premier plan parmi nos idées sensibles ; les autres, par degré, se répartissent et se distribuent sous les formes de l’espace et du temps, dont l’idéalité doit être désormais le pivot de la philosophie. L’âme, à proprement parler, est ce foyer d’où tout part, où tout revient, l’acte de penser, l’acte créateur de la raison, sans lequel pour nous rien ne serait.

S’appliquer à l’étude de tels ou tels groupes d’idées systématiquement distingués, et, par abstraction, détachés de la cause qui les produit, c’est faire œuvre de science. La science oublie le sujet pour l’objet, l’acte qui crée ce qu’elle étudie au moment même où elle étudie pour considérer seulement le résultat de cette création. Mais cette