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pouvons l’observer, par cette bonne raison qu’elle n’existe pas à titre de phénomène spécial. Que le Moi ait un certain pouvoir de se déterminer par lui-même, qu’on appellera volonté, c’est possible : je n’ai pas à discuter ici ce problème. Mais ce que j’affirme, c’est qu’en tout cas ce pouvoir ne se manifeste que par ses effets moraux ou physiques ; qu’il est objet d’induction et non de conscience. Les phénomènes que l’on nous cite comme des volitions se réduisent, quand on les analyse de plus près, à des sensations, des sentiments ou des idées : idée qu’il est temps d’en finir, sentiment d’impatience et de désir, sensation d’effort musculaire. Mais tout cela n’est pas vouloir. Le véritable moment de la volition est celui où l’on cesse de délibérer pour commencer à agir ; et la volition n’est que ce moment même : entre la délibération qui finit et l’acte qui commence, il m’est impossible de trouver place à un état de conscience intermédiaire.

Passons à l’étude des sentiments. — Avant de donner les raisons théoriques qui me font croire qu’on ne peut en prendre conscience, je commencerai par constater une chose, c’est que pour mon compte, et après mainte tentative, je m’en suis reconnu tout à fait incapable : quand je fais un effort pour m’observer moi-même, jamais à ce moment même je ne trouve en moi quoi que ce soit qui ressemble à un sentiment. — Le fait, sans doute, pourrait m’être personnel mais les raisons par lesquelles je l’explique étant d’ordre général et tenant à la nature même des phénomènes en question, je suis autorisé à admettre que tous les psychologues, et ceux même qui croient à la conscience intuitive, sont dans le même cas que moi.

On a souvent signalé les difficultés particulières que doit présenter l’étude d’un sentiment. Lorsque nous sommes fortement émus, nous ne songeons guère à faire sur nous-mêmes des analyses psychologiques, à exploiter notre émotion dans l’intérêt de la science. L’idée ne pourra nous venir d’observer nos sentiments que lorsqu’ils seront notablement affaiblis : mais alors ce ne seront plus que des phénomènes très instables, que la moindre cause suffira pour faire disparaître. À l’instant où nous voudrons les étudier, et par cela même que nous y penserons, ils se modifieront nécessairement. Les sentiments forts sont donc trop exclusifs pour provoquer notre attention, et les sentiments faibles trop instables pour la soutenir.

Ces considérations, il est vrai, ne tendent encore qu’à restreindre le nombre des phénomènes dont nous pourrions prendre conscience. Restent les sentiments d’intensité moyenne, auxquels ne s’appliquent peut-être pas les remarques que nous venons de faire. L’attention elle aussi, a ses degrés et peut ne pas toujours altérer autant les phémènes sur lesquels elle se porte. Enfin, si la préoccupation que nous