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SOURIAU.la conscience de soi

va nous expliquer l’observation intérieure. — Les opérations intellectuelles, raisonnement, jugement, etc., sont des actes complexes ; elles consistent dans une série de pensées qui se succèdent dans un ordre déterminé. Rien ne nous servirait de prendre conscience de ces pensées à mesure qu’elles apparaissent. Pour me faire une notion du phénomène total, il faut que je me rende compte de ses diverses phases, que je les récapitule dans mon esprit, que j’en opère la synthèse. L’idée même, l’idée la plus simple au point de vue logique, est psychologiquement un acte complexe qui demande un certain temps pour s’accomplir. De sorte qu’elle aussi ne peut être observée qu’après coup.

Mais, si l’observation intérieure ne repose plus que sur la mémoire, qui nous en garantit l’exactitude ? Un souvenir est toujours une conjecture. À la rigueur, je puis le vérifier s’il se rapporte à un fait extérieur : quand il s’agit d’un fait externe, je n’ai plus aucun moyen de contrôle. Comment m’assurer que l’idée que j’ai en ce moment reproduit bien l’idée que j’ai eue autrefois, surtout si l’on n’admet pas même que je puisse prendre conscience de mon idée présente ? — J’avoue qu’une connaissance fondée sur des souvenirs invérifiables est bien précaire et que mieux vaudrait l’observation immédiate. La mémoire ne remplace la conscience que très insuffisamment. Cela est fâcheux pour nous. Mais qu’y faire ?

V

Passons à l’examen des phénomènes subjectifs, c’est-à-dire de ceux que nous ne songeons pas à extérioriser, et qui nous apparaissent comme une simple modification du Moi. — Sont-ils directement observables ?

Si nous avons nié que les phénomènes objectifs fussent conscients, c’est parce qu’il nous était impossible d’admettre que la pensée pût se prendre elle-même pour objet. Mais on conçoit fort bien qu’au moment où nous accomplissons un effort de volonté, où nous éprouvons un sentiment ou une sensation, nous puissions en prendre conscience : car alors c’est l’intelligence qui observe, c’est la volonté ou la sensibilité qui est observée. Le sujet étant distinct de l’objet, la connaissance semble possible.

L’hypothèse n’a rien, en effet, d’invraisemblable. Maintenant, examinons-la de plus près.

De la volition, je ne dirai que quelques mots : je crois que nous ne