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attention sur les autres. En parlant ainsi, on se figure que l’attention nous fait seulement apercevoir les sensations : on ne voit pas qu’elle les produit, qu’elle en détermine l’apparition, et, par conséquent, qu’elle leur est antérieure. Faire attention à une sensation donnée, c’est se mettre dans, une disposition physique ou morale telle qu’on ne puisse en éprouver d’autres, ou du moins que celle-là devienne dominante. Mais, dans un groupe de sensations d’intensité inégale, ne puis-je faire attention à la plus faible ? Quand, par exemple, j’entends jouer un morceau de violon, si je viens à remarquer le petit grincement de l’archet sur les cordes, je ne pourrai m’empêcher de l’écouter ; et ce bruit si faible m’occupera plus que le son principal émis par l’instrument. — Le fait est exact, mais mal interprété. Dans l’ensemble de mes sensations sonores, j’ai remarqué, après coup, ce grincement : cela m’a déterminé à l’écouter, c’est-à-dire à accommoder mon oreille de façon à le mieux entendre. À l’instant où j’ai commencé à l’entendre plus distinctement, il était devenu dominant en réalité. Sans doute, les autres vibrations de l’air font sur mon tympan une impression plus forte ; mais elles me donnent des sensations plus faibles[1]. Le fait que l’on allègue pour prouver que parmi diverses sensations nous pouvons distinguer la moins intense, ne prouve donc qu’une chose : c’est que, par un effort d’attention préalable, nous pouvons disposer notre système nerveux et les organes de nos sens de manière que l’excitation la moins intense nous donne la sensation la plus forte. — Que l’on cherche d’autres exemples : on reconnaîtra qu’ils peuvent toujours être interprétés de même, et que, lorsqu’on s’imagine faire un effort d’esprit pour percevoir plus distinctement ses sensations, on ne fait, en réalité, que se mettre dans une situation physique et morale telle que l’on éprouve des sensations plus distinctes.

Non seulement je ne puis faire attention aux sensations que j’ai ; mais je ne puis même y penser. — Qu’est-ce, en effet, que penser à

  1. L’excitation étant la même, la sensation peut passer par une infinité de degrés, depuis zéro jusqu’à son maximum, selon que nous sommes plus ou moins éveillés, plus ou moins attentifs. Cela n’infirme pas le principe même de la psycho-physique, à savoir qu’il doit y avoir un rapport entre la sensation et l’excitation ; mais nous voyons que dans les expériences imaginées pour déterminer ce rapport, on n’a pas tenu compte d’un élément très important, et qu’il reste de nouvelles recherches à faire pour mesurer les effets de l’attention. En fait, dans toutes les expériences établies jusqu’ici, le sujet sur lequel on opère reçoit le maximum de sensation correspondant à une excitation donnée : son attention étant toujours éveillée au plus haut point, elle peut être, sans inconvénient, regardée comme une constante, et la sensation n’est plus fonction que de l’excitation. Cela simplifie beaucoup le problème. Au reste, il est heureux qu’on n’en ait pas vu tout d’abord les difficultés, car on n’eût jamais entrepris de le résoudre, si on les avait seulement soupçonnées.