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SOURIAU.la conscience de soi

de rechercher comment je m’y prends pour cela. Il n’en est pas de même des sensations : je puis les étudier sur le vif, et sans que ce travail de réflexion les altère ; il me sera donc bien plus aisé de me rendre compte de leur nature et des conditions dans lesquelles elles se produisent.

Puis-je faire attention à mes sensations ? Cela est indiscutable. Mais à quel moment ? Pendant que je les éprouve ? Avant ? ou après ? La question doit être posée : car l’attention ne pourrait être considérée comme un acte de conscience que dans le cas où elle aurait pour objet une sensation actuelle.

Dans certains cas, les sensations ne sont remarquées qu’après coup. C’est ce qui arrive notamment quand nous recevons quelque impression brusque et inattendue. Avant même que nous ayons eu le temps d’en être surpris, car on ne s’étonne jamais que par réflexion, la sensation a disparu ; et ce n’est que par un effort de mémoire que nous pouvons nous rendre compte de ce que nous venons d’éprouver. La sensation vient d’abord, l’attention ensuite ; mais comme les deux faits se succèdent immédiatement, on pourra croire qu’ils sont simultanés.

D’autres fois, et plus souvent encore, notre attention s’adresse aux sensations que nous allons avoir. Écouter un bruit, par exemple, c’est se préparer à en recevoir l’impression, l’imaginer d’avance, l’attendre avec anxiété. Dans ce cas, l’attention précède évidemment la sensation ; si les deux faits semblent simultanés, c’est par une illusion analogue à celle que nous signalions tout à l’heure : ils se succèdent sans interruption, en sorte que, même dans cet intervalle de temps infinitésimal que nous appelons un instant, nous pouvons les trouver tous les deux. Mais dès que le bruit se produit, notre curiosité n’a plus de raison d’être ; si nous écoutons encore, c’est qu’il peut se répéter ; c’est donc toujours au phénomène à venir que s’adresse notre pensée. Cette antériorité de l’attention, manifeste quand le phénomène observé est intermittent, peut être également établie quand il s’agit d’un phénomène continu. Dans ce cas, les deux faits, considérés dans leur ensemble, sont bien simultanés ; mais chaque moment de l’un est antérieur à chaque moment de l’autre, en sorte que l’attention garde toujours son avance.

On voit comment il nous est possible, quand nous ne faisons que penser à une sensation passée ou future, de croire que nous observons une sensation actuelle. Nous avons insisté sur cette méprise : c’est qu’on la commet fréquemment. On dira, par exemple, que lorsque nous éprouvons à la fois un certain nombre de sensations, nous pouvons nous distraire volontairement des unes, et porter notre