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ration, la nutrition, et autres phénomènes physiologiques, n’est qu’un simple phénomène, et que, par conséquent, les causes en général appartiennent à l’ordre phénoménal et ne sont rien d’absolu.

Du reste, à la réflexion, on reconnaît bientôt que, parmi toutes les chimères qu’a enfantées l’imagination des philosophes, il n’en est guère de plus creuses et de plus décevantes que celle qui consiste à inventer des choses en soi permanentes pour expliquer les phénomènes. Admettons pour un moment tout ce que l’on voudra sur l’existence permanente des choses en soi : toujours est-il que l’action par laquelle elles ont donné naissance à tel phénomène a dû commencer ; autrement ce phénomène eût été éternel comme elles ; donc, à supposer que ces prétendues causes soient absolues, toujours est-il que leur causalité est phénoménale ; du moins si, avec tous les philosophes modernes, on désigne par le mot de phénomène, non pas précisément tout ce qui apparaît (φαινόμενον), mais bien plutôt tout ce qui commence à exister, tout ce qui devient, tout ce qui occupe une portion du temps ou de l’espace, qu’il se manifeste ou non. Aussi, disons-nous, ce qui rend compte des phénomènes de ce monde, ce ne sont pas les prétendues substances qu’on imagine ad hoc ; ce ne pourrait être tout au plus que l’action causale de ces substances, laquelle n’est elle-même qu’un phénomène ; de sorte que l’on n’a rien fait en inventant des substances qui soient causes et causes absolues, puisque le problème après cela se retrouve exactement le même qu’il était auparavant. Dira-t-on que du moins l’action de la cause absolue a son explication dans cette cause, et que nous trouvons là une base à la causalité en dehors de l’ordre phénoménal ? Mais il est facile de répondre que l’action de la cause absolue étant, en vertu de sa nature phénoménale, soumise aux conditions essentielles de tout ce qui est phénomène, exigera pour se produire, au même titre que n’importe quel autre phénomène, une action antérieure de la cause absolue ; cette action antérieure, pour la même raison, exigera une action antérieure encore, et ainsi de suite à l’infini. On voit donc bien que la supposition de causes métaphysiques complique la question de la causalité sans la faire avancer d’un pas, et que, d’une manière générale, vouloir expliquer les phénomènes par des principes transcendants est une illusion pure.

Ainsi le sens commun et la réflexion sont pleinement d’accord pour repousser l’hypothèse des choses en soi productrices de phénomènes. L’esprit scientifique est encore du même avis. Oui ou non tous les phénomènes de cet univers sont-ils reliés entre eux par des rapports de dépendance ? Tout est là aux yeux du savant, et, il faut ajouter, aux yeux du philosophe. S’ils ne le sont en aucune façon, le monde