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DUNAN.le concept de cause

ne peut être qu’un chaos, et toute science est impossible, puisque, dans ce cas, la production des phénomènes dépend de l’action imprévisible d’entités inconnues : s’ils le sont, au contraire, c’est dans ces rapports de dépendance que nous devons chercher les raisons de leur apparition, c’est-à-dire leurs causes véritables. Quant à leurs relations métaphysiques avec de prétendues substances, la science et la philosophie n’ont aucun compte à en tenir, puisque, d’une part, nous ne pouvons en avoir aucune expérience, et que, d’autre part, chaque phénomène s’explique suffisamment par l’ensemble de ses relations empiriques. D’où il suit que la cause de chaque phénomène — s’il est vrai que chaque phénomène ait une cause — ne peut être qu’un autre phénomène, ou, pour mieux dire, un ensemble de relations phénoménales.

Du reste on peut dire que c’est là une vérité consacrée aujourd’hui par l’assentiment quasi unanime des philosophes. Les kantiens sont, au sujet de la nature phénoménale des causes, du même avis que les empiristes, et quiconque croit à la relativité de la représentation sensible, est ou doit être d’accord avec les unes et les autres. Tant qu’on a pu considérer les phénomènes du monde extérieur comme subsistant indépendamment du sujet qui les perçoit, il était naturel que l’on cherchât dans l’intervention d’entités métaphysiques l’explication des transformations qu’ils subissent. Du jour au contraire où l’on a bien compris que tous ces phénomènes ensemble sont une construction, légitime d’ailleurs, de la pensée, et une simple représentation dont l’esprit est l’auteur, en même temps que le spectateur, c’est uniquement les uns par rapport aux autres qu’il a fallu les concevoir ordonnés, pour comprendre les conditions nécessaires à leur production, c’est-à-dire en définitive pour leur assigner des causes.

II

Ainsi, et c’est un point que nous croyons être en droit de considérer désormais comme acquis, les causes ou conditions objectives de chaque phénomène doivent être recherchées, non pas dans l’action inconnue de prétendues choses en soi, mais bien dans l’ensemble des circonstances de l’ordre phénoménal qui l’ont précédé ou qui l’accompagnent. Mais est-il vrai que, même en l’entendant ainsi, on puisse affirmer l’existence de causes véritables ? Est-il vrai que les phénomènes se déterminent et se conditionnent les uns les autres, ou ne devons-nous pas penser plutôt qu’ils se suivent dans un ordre