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qui, à la vérité, est régulier, sans que pour cela l’on puisse dire que les antécédents sont effectivement causes des conséquents ?

Hume a formellement adopté la seconde opinion et rejeté la première, et les raisons qu’il a données en faveur de sa thèse méritent une sérieuse considération. Ces raisons peuvent se résumer en cette proposition simple : qu’il nous est impossible de nous faire aucune idée d’un rapport quelconque de dépendance entre deux phénomènes, et que, par conséquent, affirmer l’existence d’un tel rapport, c’est parler pour ne rien dire. Partant de là, Hume a réduit toutes les relations qui peuvent exister entre les phénomènes à une simple connexion toute subjective de leurs idées, connexion créée en nous par l’habitude de les voir se reproduire dans un certain ordre, c’est-à-dire qu’il a fait de la causalité une pure illusion de nos esprits. Voyons ce que nous devons penser de son argumentation et des conclusions qu’il en tire.

La raison pour laquelle, d’après Hume, nous ne serions point en droit de parler d’une dépendance objective des phénomènes entre eux, c’est, ainsi que nous venons de le rappeler, que nous n’avons aucun concept de cette dépendance, et nous n’en avons aucun concept parce qu’il n’y a aucune impression qui y corresponde. Qu’il n’y ait point de concept, du moins de concept positif et déterminé, sans une impression correspondante, et qu’il n’existe aucune impression correspondante à la dépendance objective des phénomènes, voilà deux points que nous devons accorder ; mais, pour que Hume eût définitivement raison, il faudrait qu’il pût établir que nous n’avons le droit d’exprimer par le langage que des concepts plus ou moins déterminés et positifs. Or c’est ce dernier point qui nous paraît contestable. Nous soutenons qu’en dehors de nos concepts il est encore toute une catégorie d’objets que nous exprimons par le langage, et cela très légitimement, à savoir les tendances et les besoins de notre esprit. Pour le prouver, nous n’irons pas chercher loin des exemples ; nous en trouvons un, et des plus décisifs, dans la philosophie de Hume lui-même.

On sait que si les phénomènes ne sont pas liés objectivement les uns aux autres, suivant Hume, leurs idées au moins sont liées dans nos esprits par ce qu’il appelle une connexion nécessaire. Or qu’est-ce que Hume prétend désigner par ce mot ? Est-ce un concept positif ? Nullement, puisqu’il déclare lui-même à plusieurs reprises qu’il nous est impossible de nous représenter d’aucune manière le mode d’association des idées dans nos esprits. Qu’est-ce donc ? Une tendance ou disposition à penser que crée en nous l’habitude, et en vertu de laquelle, lorsque nous avons perçu un certain nombre de