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DUNAN.le concept de cause

phénomènes, considérés dans leur devenir, ne peuvent se succéder les uns aux autres que suivant un ordre régulier c’est-à-dire d’après une loi, et que, par conséquent, chaque moment d’un phénomène dépend en quelque manière de celui qui le précède.

Kant ajoute que cette nécessité dans la succession de nos perceptions est la seule chose qui puisse nous déterminer à leur attribuer des objets réels en dehors de nous, au lieu de les considérer comme de purs rêves : la causalité serait donc le seul fondement de notre croyance à l’objectivité du monde extérieur. Il se peut qu’en effet cette attribution d’un caractère objectif à nos perceptions tienne à quelque cause du genre de celle que Kant signale, mais il semble difficile de croire qu’elle tienne expressément, comme il le veut, à la nécessité d’un ordre régulier dans la succession des choses qui arrivent, car en fait nous attribuons constamment l’objectivité à des choses qui n’arrivent pas, mais qui sont permanentes, comme l’est une maison, par exemple. Nous garderons donc la première partie de la démonstration de Kant sans adopter la seconde.

On nous pardonnera d’avoir tant insisté sur ce point, parce qu’il est capital, et qu’il est le pivot sur lequel repose toute l’argumentation qui va suivre. Du reste nous pensons l’avoir établi suffisamment pour pouvoir nous y appuyer désormais, et dès maintenant nous considérons comme une vérité acquise que les phénomènes de cet univers dépendent les uns des autres, de quelque façon d’ailleurs que ce puisse être.

III

Les phénomènes de cet univers dépendent les uns des autres : mais de quels phénomènes chaque phénomène dépend-il ? Il est clair qu’à cette question deux réponses, et deux réponses seulement, peuvent être faites : ou bien l’on admettra que chaque phénomène dépend d’un ensemble déterminé de conditions phénoménales nécessaires et suffisantes pour le produire, c’est-à-dire, suivant l’expression de Stuart Mill, d’un antécédent inconditionnel ; ou bien au contraire l’on admettra que chaque phénomène dépend à la fois de la totalité de ses antécédents dans le temps, et probablement aussi de ses coexistants dans l’espace, de sorte que la totalisation complète de ses conditions ne pourrait plus être faite. C’est donc entre ces deux conceptions du rapport de causalité que nous avons à choisir.

La première est celle de tous les savants et de la très grande majorité des philosophes. Cependant nous devons avouer qu’elle nous