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n’y aurait plus ni temps ni espace. Mais comment comprendre une contiguïté parfaite qui ne soit pas en même temps une certaine coexistence ? Cela est vrai, mais cette incompréhensibilité est inhérente aux continus lorsqu’on les considère en eux-mêmes, abstraction faite de leur principe, c’est-à-dire de leur mode de génération. La continuité du temps et de l’espace n’est que l’expression dans le langage de notre sensibilité de la vie de l’esprit imparfait et multiple : il est donc inévitable qu’envisageant ces continus en eux-mêmes, comme s’ils étaient des choses subsistant par soi — et c’est précisément là le point de vue auquel nous sommes placés en ce moment — on y doive rencontrer des caractères qui « mettent au rouet » notre entendement. On est donc, quoi qu’on fasse, obligé de reconnaître que deux phases successives d’un même mouvement ne remplissent pas la condition essentielle pour que la première puisse être dite cause de la seconde, à savoir que la seconde soit simultanée avec la première, ne fût-ce qu’un seul instant.

2o Si une phase d’un mouvement donné pouvait déterminer la suivante, comme par hypothèse elle la déterminerait seule, celle-ci devrait suivre infailliblement par le fait même que la première a précédé ; une autre encore suivrait pour la même raison, et le mouvement s’achèverait de lui-même, ou plutôt se perpétuerait tant qu’il ne rencontrerait aucun obstacle. La conséquence, c’est que chaque mouvement se produirait d’une façon en quelque sorte autonome, et aurait lieu comme s’il était absolument isolé dans le temps et dans l’espace. En d’autres termes, le mouvement devrait être considéré, non plus comme un changement continu de relations dans l’espace, mais bien comme quelque chose d’indépendant en soi et d’absolu ; de sorte que, par exemple, s’il n’y avait dans toute l’immensité de l’espace qu’un seul corps, ce corps pourrait s’y mouvoir et s’y déplacer réellement : conception absurde, à laquelle l’imagination populaire croit pouvoir donner un sens, parce qu’elle se représente l’espace, à la manière des anciens atomistes, comme une chose en soi et comme une capacité vide contenant tous les corps, mais dont Leibniz a bien démontré l’inanité dans sa grande controverse contre Newton et Clarke. Ainsi, pour nous résumer sur ce point, la génération des phases successives d’un mouvement les unes par les autres, c’est la possibilité d’un mouvement isolé et par conséquent absolu, c’est-à-dire une absurdité.

Laissons maintenant de côté le mouvement phénomène élémentaire, et revenons à la théorie de l’antécédent inconditionnel, c’est-à-dire à la théorie d’après laquelle tout phénomène serait indissolublement lié à un groupe déterminé d’antécédents. Il n’est pas bien diffi-