Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
509
DUNAN.le concept de cause

phénomènes, mais qui ne sont en réalité que des modes de notre sensibilité suivons les indications que nous fournit la science, d’accord en cela avec la plus saine philosophie, et attachons-nous à la considération du phénomène par excellence, du phénomène unique, à proprement parler, le mouvement. La question de la production de B par A devient alors celle de la génération d’un mouvement par un autre, ou, plus simplement encore, en ne considérant qu’un mouvement unique, celle de la génération de l’une des phases de ce mouvement, de telle amplitude que l’on voudra la concevoir, par la phase immédiatement précédente. Cette génération est-elle intelligible et peut-elle être admise ? Nous répondons : non, et cela pour deux raisons :

1o Il convient de rappeler, et c’est Kant lui-même, dont pourtant nous combattons ici les idées, qui nous y invite, qu’aucun phénomène, qu’aucune portion de phénomène ne peuvent être causes après le moment où ils ont eux-mêmes cessé d’exister. « Dans le moment où l’effet commence à se produire, dit Kant, il est toujours contemporain de la causalité de sa cause, puisque, si cette cause avait cessé d’être un instant auparavant, il n’aurait pas eu lieu lui-même[1]. » Cela posé, qui ne voit que les différentes phases d’un même mouvement, précisément parce qu’elles sont successives et jamais simultanées, ne peuvent être causes les unes des autres ? Pour rendre la chose en quelque sorte sensible, divisons par la pensée en un très grand nombre de parties la trajectoire d’un corps en mouvement. Ces parties très petites ont nécessairement une certaine extension, mais nous pouvons faire abstraction de cette extension et les traiter comme des indivisibles, parce que nous n’aurons pas à raisonner sur l’indivisibilité que nous leur aurons ainsi attribuée, et que nous n’avons besoin que de ne pas nous embarrasser mal à propos de leur divisibilité. La trajectoire ainsi divisée est la représentation schématique tout à la fois du mouvement du corps et du temps pendant lequel ce mouvement s’effectue. Or n’est-il pas évident que toutes les parties qui la composent sont données en succession, non en coexistence, de sorte qu’il est impossible qu’aucune d’elles détermine ou produise en quelque manière que ce soit celle qui la suit ? On dira peut-être : l’extrémité finale de chaque partie et l’extrémité initiale de la suivante coexistent, puisqu’il n’y a pas entre elles d’intervalle. Nous répondons qu’il y a succession immédiate, et non pas coexistence ; autrement les parties de l’espace et du temps ne seraient pas en dehors les unes des autres, et par conséquent il

  1. Critique de la raison pure, trad. Barni, t.  I, p. 262.