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subordonnait la psychologie à la physiologie, et son jugement se ressent un peu de cette impression défavorable. Il s’accommoda mieux d’un autre livre, moins solide peut-être, mais aussi singulier dans son genre que celui de Huarte ; et comme les exemplaires en étaient devenus rares, bien que l’ouvrage n’eût pas eu moins de trois éditions, il engagea son ami, le sceptique médecin Martin Martinez, à se charger d’une édition nouvelle, qui parut à Madrid, en 1728, sous ce titre un peu long : Nueva filosofia de la naturaleza del hombre, no conocida ni alcanzada de los grandes filosofos antiguos, la qual mejora la vida y salud humana… escrita y sacada á luz por Doña Oliva Sabuco de Nantes Barrera, natural de la ciudad de Alcaraz.

Le nouvel éditeur a bien soin d’avertir que cette quatrième édition, revue et corrigée, est expurgée conformément à la censure du Saint-Office. Il y a joint une courte préface, sous forme d’éloge ; on y souhaiterait un peu plus de jugement et un peu moins de galanterie ; mais, comme l’auteur remis en lumière était une femme, l’éditeur mérite quelque indulgence. Une femme qui touche hardiment à la philosophie, à la médecine, à la politique, à la réformation des abus, et dont le livre est dédié à Philippe II en personne, vaut la peine qu’on la présente aux philosophes qui s’inquiètent de savoir les opinions des réformateurs de la philosophie. Peut-être ne seront-ils pas fâchés de faire connaissance avec cette réformatrice dont le programme fut soumis à un puissant monarque, et revu par l’Inquisition. Jusqu’ici l’ouvrage en question n’a été l’objet d’aucune étude sérieuse. Les panégyristes, en assez grand nombre, ne se sont pas permis la moindre critique, et, dans leur admiration enthousiaste, ils ont supposé que l’auteur et le livre étaient également connus ; aussi peut-on reprendre le sujet, qui est tout neuf, sans risquer de se rencontrer avec eux.

I

La philosophie est-elle compatible avec le sexe féminin ? Voilà une question à laquelle l’histoire seule peut répondre, car il ne semble guère possible de la résoudre a priori, d’après des vues purement théoriques. L’expérience des siècles répond par la négative ; du moins faudrait-il beaucoup de complaisance pour découvrir dans les annales de la philosophie une femme-philosophe. Il est vrai que ces annales n’ont été écrites jusqu’ici que par des hommes, et qu’en dépit des longues listes qu’ils ont dressées scrupuleusement, on ne connaît qu’un nombre assez restreint d’esprits originaux ayant pensé