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GUARDIA.philosophes espagnols

par eux-mêmes, sans réminiscences ni redites, ce qui est une présomption en faveur de l’opinion, en apparence paradoxale, qu’il n’est donné qu’à peu de cervelles de philosopher avec fruit. Et, de fait, si l’on distingue entre l’élite et le troupeau, quelques noms suffisent à représenter à travers les siècles le mouvement de la pensée originale.

Cela étant, il est permis d’exclure les femmes de cette élite de penseurs, sans manquer en rien aux lois de la galanterie. Qu’elles puissent avoir des clartés de tout, comme le veut le grand comique, qui n’entend point qu’elles se rendent savantes jusqu’au point de devenir précieuses, c’est déjà leur reconnaître des aptitudes peu communes ; mais leur accorder la puissance des conceptions viriles et l’originalité créatrice, c’est méconnaître physiologiquement les attributions respectives des deux sexes, c’est confondre à plaisir ce que la nature a très nettement séparé. Et comme la confusion des sexes peut entraîner des conséquences infiniment plus graves que la confusion des langues, peut-être vaudrait-il mieux laisser les choses telles que la nature les a faites, tant au point de vue physique qu’au point de vue moral. L’histoire ne serait, en vérité, qu’une étude agréable pour la curiosité superficielle, si l’on n’y voyait pas l’expérience confirmer sans réplique les enseignements de la loi naturelle.

La femme remarquable qui fait l’objet de cette étude n’est point une exception à la règle ; malgré de précieuses qualités d’esprit et de forme qu’on ne saurait contester sans injustice ; malgré des prétentions hautement avouées et une présomption moins justifiable, elle a suivi sa nature, et tous ses efforts n’ont pu dépasser ses forces. Les Espagnols la vantent comme un prodige, et quelques-uns ont trouvé son œuvre si excellente, qu’il leur a paru qu’un homme seul était capable de l’avoir conçue. C’est ainsi qu’une admiration irréfléchie a donné lieu à des doutes sur l’authenticité du livre et sur la personne de l’auteur. Ce scepticisme peu raisonnable ne tient pas devant un examen tant soit peu sévère. Un pseudonyme, qui ne veut être connu ni deviné, prend des précautions dont on ne trouve ici aucune trace.

Et pourquoi se cacher quand rien n’y oblige, quand on revendique pour soi des idées qui ne sont empruntées à personne, qui sont réputées neuves et originales ? À quoi bon ce mystère ? Les novateurs et les réformateurs convaincus n’ont pas coutume de combattre sous le masque ; et pour être mieux compris ils emploient la langue commune et vulgaire, car il leur importe avant tout d’être lus, et par le plus de lecteurs possible ; ils écrivent avec une simplicité familière, qui met la nouveauté à la portée de tous, surtout quand le but qu’on se propose est d’instruire le public de ce qui l’intéresse le plus, de l’éclairer en le désabusant, de détruire les vieilles erreurs au profit