Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
DUNAN.le concept de cause

à un antécédent unique ou à un groupe invariable d’antécédents est inadmissible, et de là nous avons pu conclure à la nécessité de faire dépendre chaque phénomène de la totalité de ses antécédents dans le temps et de ses coexistants dans l’espace. Essayons maintenant de prouver directement que cette seconde conception est vraie ; il en résultera une fois de plus que la première est fausse.

Pour cela, laissons de côté pour un instant toutes vues personnelles au sujet de la causalité, et revenons aux notions courantes. En formulant ainsi la loi de causalité : tout phénomène a une cause, et en définissant la cause : ce qui détermine le phénomène à exister, nous pensons être d’accord avec toutes les écoles possibles. Nous allons essayer de démontrer le principe de causalité formulé dans ces termes très vagues et très généraux, et, si nous y réussissons, il est à croire que nous serons en mesure de dégager de notre raisonnement une conception à la fois plus déterminée que la précédente, et certainement exacte, de la nature de la causalité.

Posons d’abord en principe que le temps et l’espace n’existent pas en soi, mais seulement dans les phénomènes. Ce principe, personne ne nous le contestera. Nous accusions Kant tout à l’heure de faire du temps et de l’espace deux absolus comme Démocrite et Épicure. Il y a pourtant entre lui et les deux philosophes grecs cette différence considérable, qu’aux yeux de ces derniers le temps et l’espace étaient antérieurs aux phénomènes, non seulement en droit, mais encore en fait : une portion d’espace, par exemple, pouvait indifféremment, d’après eux, contenir des corps ou n’en pas contenir. Selon Kant, l’antériorité du temps et de l’espace par rapport aux corps est toute logique : il n’y a pas plus d’espace sans corps que de corps sans espace. Ainsi c’est un principe pleinement accepté par Kant, que Leibniz avait déjà démontré et qu’ont reconnu tous les philosophes postérieurs, que le temps et l’espace n’ont pas de réalité en dehors des phénomènes ; nous pensons donc pouvoir nous y appuyer.

C’est encore une vérité incontestable et incontestée, à ce qu’il semble, que tout phénomène a lieu dans le temps non pas seulement en ce sens que tout phénomène dure par lui-même, mais encore en ce sens que tout phénomène arrive à une certaine époque, et qu’on peut toujours lui assigner une date, pourvu seulement qu’on ait fait choix d’une ère. Voyons quelles conditions ce dernier principe suppose. Allons-nous supposer que, le temps se déroulant, et les années succédant aux années, les phénomènes viennent s’y placer chacun à leur tour, spontanément et sortant du néant ? Ce serait absurde ; non pas qu’il soit absurde qu’un phénomène puisse sortir du néant, puisque le contraire est précisément ce qu’il s’agit de prouver ; ce qui