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est absurde, c’est que le temps n’étant rien par lui-même, et n’ayant aucune réalité en dehors des phénomènes qui le remplissent, puisse néanmoins, en vertu de sa nature propre, donner lieu à un ordre déterminé des phénomènes, et les constituer en séries. Par conséquent, le fait que tel événement est arrivé à telle époque, c’est-à-dire en réalité tant de temps après tel autre événement, ne peut pas consister en autre chose qu’une relation, c’est-à-dire une dépendance par rapport à cet autre événement, puisque, comme nous venons de le rappeler, il ne saurait consister dans une relation avec le temps lui-même, et qu’en dehors du temps et des phénomènes qui le constituent il n’y a rien. Ajoutons que cet autre événement par rapport auquel nous assignons une date à l’événement considéré est absolument quelconque, et peut être pris à volonté parmi tous ceux qui ont précédé celui-là. Nous sommes donc en droit de dire que tout événement dépend, plus ou moins directement, peu importe, mais dépend d’une manière réelle de la totalité des événements qui l’ont précédé dans le temps.

En d’autres termes, tout phénomène doit occuper une place dans la série successive des événements. Cette place, ce n’est pas le temps qui la lui assigne ; donc ce ne peuvent être que les phénomènes eux-mêmes. Ainsi le fait de venir en succession après tel événement constitue, pour le phénomène que vous considérez, un rapport, et par conséquent une dépendance à l’égard de celui auquel il succède : et, comme il est clair que chaque phénomène vient après tous ceux qui l’ont précédé, il s’ensuit qu’il dépend d’eux tous, et non pas seulement de son antécédent immédiat. De plus, on voit sans peine que le concept de l’avant et de l’après, ou de la succession, présuppose logiquement la dépendance des phénomènes entre eux ; ce qui revient à dire que le temps n’est pas une forme a priori que doivent prendre les phénomènes pour pouvoir se constituer, mais qu’il en est au contraire un caractère ultérieur et dérivé.

À ces considérations, on en peut ajouter d’autres, plus simples peut-être, et non moins décisives contre la théorie de l’antécédent inconditionnel, et en faveur de celle qui admet la dépendance universelle des phénomènes les uns par rapport aux autres, dans le temps.

Si l’on admet qu’un phénomène N dépend de son antécédent immédiat M, comme celui-ci dépend à son tour de son antécédent L, il est clair que N ne peut pas dépendre de M sans dépendre en même temps de L et de tous les antécédents de ce dernier ; car dépendre d’une chose, c’est évidemment dépendre de tout ce dont cette chose elle-même dépend. Donc, entre la thèse de Hume qui