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à parler de ses œuvres littéraires. M. Janet a signalé ses mérites et caractérisé son talent avec bien de l’exactitude et de la modération. Nous n’avons pas à nous en occuper ici. Nous ne dirons rien non plus de ses grandes qualités personnelles, de la séduction qu’il exerçait sur tous ceux qui l’approchaient, de l’ineffaçable souvenir qu’il a laissé chez tous ceux qui l’ont connu. M. Janet nous apporte à cet égard un témoignage personnel d’un grand prix. Dans quelques pages charmantes de son appendice, il nous raconte qu’il fut loin de commencer vis-à-vis de Cousin par l’enthousiasme : il ne l’aborda au contraire qu’avec des préventions et peu de sympathie. Ces préventions s’affaiblirent et se fondirent peu à peu : à son tour, mais après une sage réserve et à bon escient, M. Janet fut sous le charme. Cette application de la méthode cartésienne à l’amitié est bien propre à nous éclairer définitivement sur le caractère de Cousin : il y a ici encore des légendes à rectifier.

Nous ne pouvions nous empêcher de penser en lisant ce livre si complet, qu’il y a quelque chose qui est à l’honneur de Victor Cousin plus encore que les documents si patiemment réunis, plus que tant de raisons si clairement déduites, plus que tant de témoignages et tant de preuves : c’est qu’il se soit trouvé quelqu’un pour réunir ces preuves et enchaîner ces raisons, pour donner à ce mort, avec un désintéressement absolu, une si touchante marque de fidélité et d’affection. Combien y a-t-il de philosophes à qui leurs disciples (j’entends des disciples indépendants et qui pensent) aient élevé un tel monument, et d’une main si pieuse ? Le plus bel éloge, peut-être, qu’on puisse faire de Victor Cousin, c’est de rappeler qu’il a laissé après lui de tels disciples et de tels amis.

Victor Brochard.

J. Novicow.La politique internationale, in-8o (Alcan, 1886).

M. Novicow est Russe « et Russe vivant en Russie », nous dit son-introduction. On ne s’en douterait pas à le voir si Français de style, si Français de libéralisme et d’optimisme impénitents, malgré l’épidémie pessimiste et autoritaire à la mode, si sympathique enfin à la France et à la civilisation française. Son livre n’est pas jeune seulement, il est rajeunissant, nourri et substantiel, et pourtant d’un seul jet, traversé

    ne cessa d’adresser soit au ministre de l’instruction publique, soit au garde des sceaux, plaintes sur plaintes, menaces sur menaces. Le ministre (c’était Villemain, mais Cousin, conseiller royal, dirigeait tout ce qui touchait à la philosophie), sous les formes les plus courtoises, mais avec la plus grande énergie, ne cessa de défendre le jeune professeur. Les choses en vinrent à ce point que l’aumônier donna sa démission, et l’évêque refusa de le remplacer : on dut conduire les élèves à l’église paroissiale. Tout finit par s’arranger, mais il faut reconnaître que les professeurs étaient alors défendus avec une fermeté et une équité qu’ils n’ont pas toujours trouvées chez leurs chefs, même en des temps beaucoup plus rapprochés de nous.