Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
581
JANET.actes inconscients, etc.

la neutralise inconsciemment avec son imagination » et continue-t-elle à produire les mêmes effets que si elle était réellement perçue ?

Remarquons enfin, comme l’ont déjà observé M. Bernheim et M. Richet, que le même genre de suggestions était encore possible à l’état de veille. Si je commandais un acte à L. avant de l’endormir elle ne semblait pas entendre l’ordre, quoiqu’elle fût éveillée, et exécutait l’acte machinalement. Bien plus, j’essayai un jour sans l’avoir prévenue une autre expérience ; je priai une autre personne, M. M…, de lui commander un acte en mon absence, mais en mon nom. Au milieu de la journée M. M…, causant avec elle, s’interrompt brusquement et lui dit : « M. Janet veut que vos deux bras se lèvent en l’air et restent paralysés ». Ce fut fait immédiatement ; les deux bras restèrent contracturés au-dessus de sa tête, mais L. n’en fut aucunement émue et continua ce qu’elle disait. Quand on produisait ainsi une action permanente comme la contracture des bras, on pouvait forcer L. à s’en apercevoir en la contraignant à chercher ses bras, à les regarder, à essayer de les mouvoir. Alors elle s’effrayait, gémissait et aurait commencé une crise, si par un mot on ne supprimait tout le mal. Mais une fois guérie et les larmes encore dans les yeux, elle ne se souvenait plus de rien et reprenait ses occupations au point où on l’avait interrompue.

Tout ce que je viens de dire s’applique aux suggestions d’actes, dans l’exécution desquels on ne pouvait remarquer aucune espèce de conscience. Quand, au contraire, on faisait une suggestion d’hallucination, le commandement n’était pas entendu davantage, mais l’hallucination elle-même était consciente, c’est-à-dire qu’elle envahissait brusquement la conscience, sans que L. pût savoir d’où elle venait. « Vous allez, lui dis-je, boire un verre de cognac. » Elle n’a rien entendu et son bras se lève automatiquement ; mais quand il s’approche de ses lèvres, elle goûte et, interrogée, dit qu’elle boit du cognac, ce dont elle est bien contente, parce que le médecin le lui a défendu. L’oubli d’ailleurs est très rapide et il faut interroger assez vite pour constater cette conscience passagère de l’hallucination. Sauf dans ce cas, où la suggestion ne pouvait évidemment pas s’exécuter sans une certaine perception, la conscience semblait complètement abolie.

III

Une fois convaincu de cette inconscience qui sans doute a déjà été remarquée par bien des observateurs, mais que je n’avais pas encore constatée à ce degré, j’ai essayé de déterminer jusqu’où elle s’étendait, c’est-à-dire quels étaient les actes des phénomènes psycholo-