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giques qui pouvaient revêtir ce caractère ; en même temps j’ai essayé d’apporter quelque lumière sur un petit problème de psychologie qui a été signalé autrefois à propos de la suggestion hypnotique.

M. Paul Janet dans les articles qu’il a publiés sur l’hypnotisme[1] et par lesquels il a fait connaître aux philosophes ces phénomènes curieux et trop négligés de la pensée humaine, avait élevé quelques doutes sur un genre particulier de suggestion. MM. Richet et Bernheim avaient cité des exemples de suggestions que le sujet devait accomplir non à son réveil mais au bout d’un certain nombre de jours. « A S…, dit M. Bernheim, j’ai fait dire en somnambulisme qu’il reviendrait me voir au bout de treize jours ; réveillé il ne se souvient de rien. Le treizième jour à dix heures il était présent. » M. Paul Janet écrit à ce propos : « J’admets que ces souvenirs ignorés, comme les appelle M. Ch. Richet, puissent se réveiller à une époque quelconque suivant telle ou telle circonstance. Je comprendrais encore le retour même à une époque fixe de ces images et des actes qui en sont la suite, si l’opérateur les associait à l’apparition d’une sensation vive ; par exemple : « Le jour où vous verrez M. un tel, vous l’embrasserez », la vue de M. un tel devant servir de stimulant au réveil de l’idée. Mais ce que je ne comprends absolument pas, c’est le réveil à jour fixe sans autre point de rattache que la numération du temps, par exemple dans treize jours. Treize jours ne représentent pas une sensation ; c’est une abstraction. Pour rendre compte de ces faits, il faut supposer une faculté inconsciente de mesurer le temps ; or, c’est là une faculté inconnue. » M. Ch. Richet répondit quelques mots[2], mais, si je ne me trompe, il ne fit guère que confirmer l’exactitude du fait et le rattacha assez vaguement à d’autres du même genre : « L’intelligence, dit-il, peut travailler en dehors du moi et, puisqu’elle travaille, elle peut mesurer le temps ; c’est une opération évidemment plus simple que de trouver un nom, de faire des vers, de résoudre un problème de géométrie, toutes choses qu’elle peut accomplir sans que le moi y participe. »

Pour éclaircir un peu cette question, j’avoue que je ne poserais pas le problème de la même manière que M. Paul Janet. « C’est là, dit-il[3], un fait nouveau d’un tout autre ordre que les précédents et qui, s’il était vrai, nous ferait entrer dans le domaine des facultés mystérieuses et inconnues, semblables à celles du magnétisme animal, double vue, pressentiment, etc. » Je ne puis partager ce senti-

  1. Revue littéraire, 26 juillet, 2, 9, 16 août 1884.
  2. Ibid., 23 août 1884.
  3. Réponse à M. Richet. Ibidem.