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G. LE BON.applications dr la psychologie

cerveau trop délicate pour être appréciée aujourd’hui par nos instruments.

Il importe peu, d’ailleurs, au point de vue qui nous occupe, que nous puissions voir cette structure, pour peu que nous puissions apprécier nettement les aptitudes intellectuelles et morales qui en sont la traduction.

Ces caractères moraux et intellectuels déterminent l’évolution d’un peuple et le rôle qu’il joue dans l’histoire. Leur importance est par conséquent fondamentale. C’est donc à leur étude, beaucoup plus qu’à celle des caractères anatomiques, que doit s’attacher l’observateur qui veut connaître un peuple.

Ce n’est pas la forme du crâne ni son indice céphalique qui nous permettraient de distinguer un vaillant Rajpout d’un lâche Bengali ; l’étude de leurs sentiments peut seule nous révéler immédiatement la profondeur de l’abîme qui existe entre eux. On pourrait comparer pendant longtemps des crânes d’Anglais et d’Hindous sans arriver à découvrir comment 250 millions des derniers ont pu être dominés par quelques milliers des premiers, alors que l’étude des caractères moraux et intellectuels des deux peuples nous révèle immédiatement une des principales causes de cette domination, en nous montrant à quel point la persévérance et la volonté sont développées chez les uns et faibles, au contraire, chez les autres.

Les aptitudes intellectuelles et morales représentent l’héritage de toute une race, ce que j’ai appelé ailleurs la voix des morts, et sont par conséquent les mobiles fondamentaux de la conduite. Les institutions sont créées par ces mobiles, mais ce ne sont pas elles qui pourraient les former. Ils sont variables sans doute chez les individus d’une même race, comme sont variables aussi les traits du visage ; mais la majorité des individus d’une race possède toujours un certain nombre de caractères moraux et intellectuels communs, aussi stables que les caractères anatomiques qui permettent de déterminer une espèce.

L’anatomie moderne nous enseigne que le corps des êtres vivants est composé de millions de cellules dont chacune a une vie indépendante, se renouvelant sans cesse, et dont la durée est par conséquent toujours inférieure à celle de l’être qu’elle contribue à former. Une race, elle aussi, peut être considérée comme un seul être constitué par la réunion des milliers d’individus toujours renouvelés qui la composent. Chacun de ces individus a sa vie propre comme une cellule du corps, mais l’être collectif qui forme une race possède lui aussi une vie générale, des caractères généraux, et c’est à eux qu’il faut s’attacher quand on étudie son histoire.