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Lorsque la psychologie comparée des peuples, science qui n’existe pas encore, sera constituée, l’observateur s’attachera surtout à dégager des caractères particuliers les caractères généraux qui permettent de créer le type moyen idéal, l’incarnation d’un peuple ; type moyen dont tous les individus s’écartent plus ou moins, mais dont, par une loi fatale, ils tendent à se rapprocher toujours[1]. L’homme n’est pas seulement en effet le fils de ses parents, il est encore et surtout l’héritier de sa race.

Les caractères communs aux divers individus composant un peuple sont évidemment d’autant plus nombreux que ce peuple est composé d’éléments plus homogènes. Si les éléments sont hétérogènes et faiblement mélangés, les caractères communs sont naturellement beaucoup moins nombreux. Empruntant nos comparaisons aux classifications de l’histoire naturelle, nous dirons que les groupes dont se compose un peuple homogène peuvent être comparés aux variétés d’une même espèce, alors que les groupes dont se compose un peuple peu homogène représentent les espèces plus ou moins distinctes d’un même genre.

La réunion de ces caractères communs, qu’on rencontre chez le plus grand nombre d’individus dont se compose un peuple, forme le type moyen de ce peuple. 1 000 Français ou 1 000 Anglais pris au hasard diffèrent beaucoup sans doute entre eux, mais ils possèdent des carac-

  1. On pourrait supposer que ce type moyen doit s’élever rapidement par suite de la sélection qui trie à chaque génération les individus supérieurs et de l’hérédité qui accumule leurs qualités chez leurs descendants ; mais la tendance à la différenciation progressive des individus entre eux, qui est la conséquence immédiate du progrès de la civilisation, doit constamment lutter contre les lois de l’hérédité qui tendent précisément à faire disparaître ou tout au moins à ramener au type moyen du groupe inférieur le plus nombreux tous les individus qui le dépassent. Un des faits les plus intéressants et en même temps les plus tristes, mis en évidence par les recherches modernes, est celui-ci : que les couches les plus élevées des sociétés — j’entends les plus élevées par l’intelligence et le talent — s’épuisent et disparaissent bientôt, soit par défaut de descendants, soit surtout par une de ces évolutions régressives qui ont conduit tant de grandes familles à l’imbécillité et à la folie. Ce fait s’expliquerait peut-être en admettant qu’une supériorité dans un sens ne s’obtient qu’au prix d’une infériorité et par suite d’une dégénérescence dans d’autres sens. Cette déséquilibration s’exagérant bientôt chez les descendants amène fatalement leur disparition. L’histoire nous montre que les sociétés semblent également soumises à cette loi fatale de ne pouvoir dépasser pendant une période bien longue un certain niveau. Elles obéissent, elles aussi, à la loi suprême qui régit tous les êtres : naître, grandir, décliner et mourir. La déséquilibration élève les individus, mais tend, quand elle s’accentue, à abaisser les sociétés et les détruit rapidement. Lorsque la déséquilibration devient trop générale soit par l’action de causes morales, soit par suite de croisements entre individus trop semblables ou trop différents, soit par l’influence de tout autre facteur, l’heure de la décadence est proche. Pour certaines nations européennes elle va sonner.