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GUARDIA.philosophes espagnols

les passages biffés dans les deux exemplaires de la bibliothèque nationale de Madrid, et ce travail ingrat est de beaucoup ce qu’il y a de mieux dans cette monographie un peu trop enthousiaste et déclamatoire (Salamanque, 1867, broch. in-8o, pp. 33-35). Rien de plus fréquent en Espagne que ces livres qui portent les traces ineffaçables de l’intolérance, sans parler de ceux qui ont complètement disparu, à moins qu’ils n’aient pu passer la frontière avant ou après la proscription. Beaucoup d’ouvrages espagnols, et des meilleurs, ne se rencontrent que hors d’Espagne, soit en Angleterre, soit dans nos riches collections de l’Arsenal et de la Bibliothèque Mazarine. Du reste, il est juste de remarquer ici que l’Espagne n’a pas eu le monopole de la persécution de la libre pensée : l’inquisition protestante a rivalisé de zèle avec l’inquisition catholique. Qui ne sait que les deux ou trois exemplaires qui restent d’un très curieux livre de Michel Servet ont été littéralement sauvés du bûcher, et portent encore les marques de la flamme qui dévora l’auteur ? Il est vrai que cet infortuné médecin espagnol, enragé de théologie, avait eu le malheur de déplaire au pape de Genève, qui le fit brûler vif pour l’amour de l’orthodoxie.

L’auteur de la Philosophie nouvelle ne s’inquiète guère de la théologie ; aussi ne porta-t-elle aucun ombrage aux théologiens, qui la laissèrent en repos, tandis qu’elle dut mécontenter très vivement les médecins, les légistes, les politiques et beaucoup d’autres qui vivaient grassement des abus dont elle demandait la réforme avec un courage et une persévérance rares, et dans la langue vulgaire et dans la langue savante des écoles, car elle écrit pour tout le monde, et avec le désir manifeste d’être lue et entendue de tous. C’est par là surtout que se recommande ce code de réformes qui touche à tant de choses, et dont la rédaction a été inspirée certainement par le désir du bien public, car on y trouve encore plus de bonne volonté que de science ; c’est surtout par le côté moral que la réformatrice se recommande. Aussi ne peut-on la juger équitablement qu’en ayant égard à son sexe et à l’époque où elle écrivait.

Outre les pièces liminaires, le volume embrasse, en 420 pages, une assez grande variété de sujets, traités d’après un principe commun et une méthode uniforme, mais avec de nombreuses redites qui attestent une composition un peu lâche et diffuse. L’exécution ne répond pas dans son ensemble à la conception, malgré l’excellence de la forme, car l’écrivain est de race ; la langue est belle, saine et forte, mais l’imagination l’emporte de beaucoup sur la raison. Le lecteur est séduit plutôt que convaincu, mais il ne bâille pas, parce que le livre, malgré ses imperfections, est écrit avec beau-